10 ans après la Marche de l’espoir, un nouveau départ?
septembre 21st, 2025 - écrit par: migration-control.info
Dix ans après la Marche de l’espoir de Septembre 2015, il est temps de reparler de l’inattendu. La chaîne d’actions transnationale prévue entre Rabat et Eisenhüttenstadt pourrait en être le point de départ. De même, la caravane de solidarité du mouvement We'll Come United, qui s’élancera le 20 septembre depuis des centres d’accueil en Thuringe, traversera la Saxe et le Brandebourg avant de rejoindre Berlin pour un grand défilé le 27 septembre.
Ces perspectives s’opposent à un présent lourd de revers. Les dernières années ont été marquées par la brutalité des violences aux frontières, la criminalisation croissante des exilés, l’isolement dans des camps éloignés, les politiques de déportation agressives et les attaques racistes dans l’espace public. Nos pensées vont à celles et ceux retenus dans des conditions indescriptibles en Libye, en Tunisie, au Soudan ou à Gaza, ainsi qu’aux exilés morts sous les bombes, abattus, affamés, noyés ou assoiffés.
Souvenons-nous : en 2015 déjà, la situation était désastreuse. Des centaines de milliers d’exilés syriens et d’Asie occidentale restaient bloqués au Liban et en Turquie. L’aide alimentaire y était rationnée sous la pression des bailleurs. Beaucoup se demandaient : comment s’en sortir ? Rien ne laissait prévoir l’été inédit qui allait suivre.
Plusieurs éléments ont alors bouleversé la donne : des conditions devenues intenables au Moyen-Orient, la politique du gouvernement grec Syriza qui a permis le passage, et surtout la détermination des exilés, qui ont, par leur nombre, forcé l’ouverture de la frontière macédonienne, avant de traverser la Serbie avec le soutien de populations locales pour rejoindre la Hongrie.
L’été des migrations a été raconté à maintes reprises. Les États balkaniques ont mis en place un corridor officiel pour tenter d’encadrer le mouvement. En Hongrie, le Premier ministre Viktor Orbán a alors voulu enfermer les exilés dans des camps. Le 3 septembre, plusieurs milliers bloqués à la gare Keleti de Budapest ont pris la route à pied vers l’Autriche : la Marche de l’espoir. La chancelière Angela Merkel a ouvert les frontières allemandes pour éviter un drame. Le système de Dublin a vacillé, et des exilés ont pu voyager librement en Europe.
Cet élan s’est accompagné d’initiatives inédites : une « société d’accueil » (Willkommensgesellschaft) a émergé, avec 8 millions de personnes impliquées rien qu’en Allemagne. Des projets antiracistes ont fleuri un peu partout. Dans certaines villes, les réseaux Solidarity City ont ouvert l’accès aux infrastructures urbaines pour tous. L’initiative Citizens’ Asylum a protégé des exilés de la déportation. Et avec We’ll Come United, l’idée est née d’ancrer l’auto-organisation des exilés dans les centres d’accueil et de la rendre visible à travers de grandes mobilisations publiques.

Un nouveau départ et la répression après 2015
La réaction des autorités après 2015 ne s’est pas fait attendre. La frontière à Idomeni a été fermée. L’accord UE-Turquie de 2016 a été signé, le système dit des « hotspots » instauré, le camp de Moria construit et la protection des frontières externalisée vers le continent africain. Dans le même temps, l’Italie a mis fin à son programme de recherche et de sauvetage en Méditerranée centrale, une décision qui a coûté la vie à des milliers d’exilés.
Un véritable dogme de dissuasion s’est imposé. L’Union européenne et ses États membres ont financé et formé de nouveaux « gardes-côtes » pour intercepter et capturer des exilés au nom de l’Europe. Frontex a été armée pour soutenir ces opérations, et des protocoles d’accord sont venus officialiser ce système. Parallèlement, les missions civiles de recherche et sauvetage ont été criminalisées, le recours aux camps renforcé et les refoulements, la torture, le travail forcé et les expulsions de masse institutionnalisés.
Aujourd’hui, dans toute l’Europe, les idées et les politiques racistes progressent dans un contexte de renforcement du capitalisme autoritaire. Mais ce n’est qu’une face de la médaille. De l’autre, un « véritable continent de solidarité pratique à petite échelle» a émergé, pour reprendre les mots de C. Jakob. Des groupes multiplient les initiatives : soutien aux exilés en Afrique du Nord, accompagnement lors de la traversée, accueil à l’arrivée, appui dans les démarches administratives et défense des droits fondamentaux.
Dix ans plus tard, nous vivons dans une société post‑migratoire, façonnée par ces rencontres et par la présence des exilés. C’est l’héritage de 2015 : une force de solidarité diffuse, qui résiste encore aux politiques d’exclusion. Dans de nombreuses villes, la solidarité de proximité pèse davantage que les stratégies racistes des gouvernements. Et partout autour de la Méditerranée, des collectifs d’exilés s’auto‑organisent, refusant les frontières imposées.
Comptez sur l’inattendu
À l’été 2025, dix ans après la Marche de l’espoir, peut‑on espérer un tournant décisif ? Revenir sur 2015 oblige à regarder plus loin en arrière encore. Dans les années 1990 et 2000, les revers semblaient définitifs : attentats racistes comme à Rostock ou Hattingen, durcissement massif du droit d’asile. Et pourtant, contre toute attente, 2015 a bouleversé le paysage européen. Think tanks, Frontex et responsables politiques n’avaient rien vu venir.
Aujourd’hui, malgré murs, clôtures et politiques dissuasives, le nombre d’exilés qui franchissent les frontières européennes chaque mois est comparable à celui enregistré sur une année entière dans les années 2000. Beaucoup font désormais partie intégrante d’une société bâtie sur la solidarité, la résistance antiraciste et l’activisme.
De plus en plus de personnes rejettent la dérive autoritaire et estiment qu’il est temps de redescendre dans la rue. Changer l’atmosphère, rendre nos initiatives visibles dans les quartiers et affirmer que nous sommes là pour durer : tel est l’enjeu des prochains mois.