Processus de Khartoum

Publié mai 15th, 2021 - écrit par: Louise Sullivan

Louise Sullivan a travaillé comme éducatrice au Soudan et dans la Corne de l'Afrique pendant sept ans et comme consultante pour « Better Migration Management » Phase 2 Component 4 Awareness Raising 2017-2019.

Le contexte de la conception du processus de Khartoum

En octobre 2013, un bateau transportant des centaines de migrant.es en provenance de Libye a sombré au large des côtes de Lampedusa, en Italie, entraînant la mort de 359 personnes. Le commissaire européen aux affaires intérieures de l'époque a déclaré : « Faisons en sorte que ce qui s'est passé à Lampedusa soit un signal d'alarme pour accroître la solidarité et le soutien mutuel et prévenir des tragédies similaires à l'avenir ». De janvier 2014 à février 2021, le nombre de décès de migrant.es enregistré.es lors des traversées de la Méditerranée s'élève à 21 548. En 2020, une moyenne de 10 personnes par semaine sont mortes ou ont disparu en tentant de traverser la mer Méditerranée. Si les tragédies n'ont pas été évitées, la solidarité et le soutien mutuel ont-ils été renforcés ?

L'initiative de l'Union européenne sur les routes migratoires de la Corne de l'Afrique, plus connue sous le nom de « processus de Khartoum », a été lancée lors d'une conférence ministérielle en novembre 2014 à Rome. Elle est structurée par l'approche globale de l'UE en matière de migration et de mobilité (GAMM). Le GAMM repose sur quatre piliers : (1) l'organisation et la facilitation de l'immigration légale et de la mobilité ; (2) la prévention et la lutte contre la migration irrégulière et l'éradication de la traite des êtres humains ; (3) l'optimisation de l'impact de la migration et de la mobilité sur le développement ; (4) la promotion de la protection internationale et le renforcement de l'asile externe.

Le processus de Khartoum repose sur l'idée que la charge de la prévention et de la gestion des migrations doit incomber à la région d'origine. Le processus de Khartoum soutient ce contrôle de la migration par les États africains, plutôt que la réforme des acteur.trices étatiques dont le comportement contribue à la migration.

Le processus de Khartoum étend les frontières de l'Union européenne aux États africains et décharge l'Afrique de la responsabilité de la gestion de ces frontières, récompensant ainsi le renforcement des contrôles et la réduction des arrivées de migrant.es dans l'UE.

En 2015, l'Union européenne a créé un fonds de 2 milliards d'euros pour s'attaquer aux multiples aspects de la migration à travers la Méditerranée : le Fonds fiduciaire d'urgence de l'Union européenne pour la stabilité et la lutte contre les causes profondes de la migration irrégulière et des personnes déplacées en Afrique (EUTF pour l'Afrique).

Le Processus de Khartoum a été chargé de superviser la mise en œuvre des initiatives financées par ce nouvel instrument. Ce rapport analyse les efforts financés par l'EUTF du Processus de Khartoum au Soudan, notamment les interventions en matière de trafic et de contrebande de migrant.es, de gestion des frontières, de sensibilisation et de programmes de développement. Le Soudan est au centre de l'attention en raison de son importance stratégique en tant que centre de transit et source de migrant.es irrégulier.ières. L'auteure a passé sept ans au Soudan et ce rapport s'inspire des situations qu'elle a vécues et des personnes qu'elle a rencontrées.

Les gouvernements participants et les objectifs déclarés

Le processus de Khartoum a été signé par 49 pays. Ceux-ci sont: l’Allemagne, l’Autriche, le Belgique, la Bulgarie, la Croatie, le Chypre, le Danemark, le Djibouti, l’Égypte, l’Érythrée, l’Espagne, l’Estonie, l’Éthiopie, la Finlande, la France, la Grèce, la Hongrie, l’Irlande, l’Italie, le Kenya, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, la Malte, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République Tchèque, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie, la Somalie, le Soudan du Sud, le Soudan, la Suède, la Tunisie et le Royaume-Uni.

Depuis la première réunion à Rome, la Libye, la Norvège, la Suisse et l'Ouganda sont également devenus membres du processus.

Le processus de Khartoum est dirigé par un comité directeur composé de cinq États membres de l'UE (l’Italie, la France, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suède), de cinq pays africains (l’Égypte, l’Érythrée, l’Éthiopie, le Soudan du Sud, le Soudan), de la Commission européenne, du Service européen pour l'action extérieure et de la Commission de l'Union africaine.

Les organisations coopérantes sont : La Direction générale (DG) des migrations et des affaires intérieures de la Commission européenne, la DG Développement et coopération, la DG Voisinage et négociations d'élargissement, le Service européen d'action extérieure, l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (FRONTEX), l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugié.es (HCR), Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) et l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD).

Les programmes relevant du processus de Khartoum sont gérés par des organisations des membres de l'UE, dont la GIZ, et les ministères de l'intérieur de l'Italie, du Royaume-Uni et de la France.

La présidence actuelle du processus est assurée par les Pays-Bas (2020-21). Les anciennes présidences ont eu les gouvernements de l'Érythrée, de l'Éthiopie et de l'Égypte. Le gouvernement érythréen commet des violations des droits de l'homme bien documentées ; le gouvernement éthiopien bombarde, au moment où nous écrivons ces lignes, ses propres citoyen.nes dans une guerre civile qui a déplacé plus de 500 000 personnes, et le gouvernement actuel de l'Égypte a pris le pouvoir par un coup d'État militaire. Le partenariat avec les gouvernements dont les citoyens se voient fréquemment accorder le statut des réfugié.es s'ils.elles parviennent à entrer dans l'UE est un choix qui nécessite une analyse. Les objectifs du processus de Khartoum sont de renforcer la coopération et le dialogue autour des migrations et de la mobilité et de faciliter l'adoption de mesures pratiques pour lutter contre la traite des êtres humains et le trafic de migrants. Les cinq domaines principaux à aborder, tels qu'énoncés dans le plan d'action de La Valette, sont les suivants:

  • Avantages de la migration pour le développement et traitement des causes profondes de la migration irrégulière et des déplacements forcés ;
  • Migration légale et mobilité ;
  • Protection et asile ;
  • Prévention et lutte contre la migration irrégulière, le trafic de migrant.es et la traite des êtres humains ; et
  • le retour, la réadmission et la réintégration.

Le processus de Khartoum en pratique : Soudan

Le Soudan est une plaque tournante majeure pour les migrants, en tant que pays d'origine, de transit et de destination. Il relie les routes migratoires de l'Afrique de l'Est et de l'Ouest à l'UE et au Moyen-Orient.Il compte également plus de 2 millions de personnes déplacées à l'intérieur du pays. En plus d'être un point de départ et d'accueil pour les migrant.es, le Soudan possède un réseau actif de transport transfrontalier de migrant.es. Avant 2015, bon nombre de ces facilitateur.trices de transport étaient des conducteur.trices soudanais.es ordinaires qui étaient approchés par des personnes désireuses de se rendre en Libye ou en Égypte. Depuis 2015, le renforcement de la sécurité aux frontières a réduit les prestataires à ceux.celles qui ne craignent pas les patrouilles frontalières, à savoir les forces militaires et de sécurité elles-mêmes, qui ont profité des deux aspects du lien entre migration et sécurité.

Des rapports d'Oxfam et des recherches de la SOAS soumis au parlement britannique, ainsi que des articles de l'IRIN, organisme établi par les Nations unies, indiquent que le manque de transparence et l'absence de participation des communautés concernées signifient l'absence de responsabilité quant à l'utilisation des fonds. Malgré les domaines décrits dans le document fondateur du Plan de La Valette, Oxfam affirme que sur les 400 millions d'euros alloués, seuls 3 % ont été consacrés au développement de voies d'immigration légale sûres et le reste au contrôle des migrations.

Structures de financement et contrôle

Le financement du processus de Khartoum est complexe et opaque, une grande variété de donateurs.trices de l'Union européenne y contribuant. Cependant, sur le site web du processus de Khartoum, seuls deux donateurs sont mentionnés à titre d'exemple : L'Instrument Européen de Coopération au Développement (ICD) et le Fonds fiduciaire de l'Union européenne. 73 % du financement provient du Fonds fiduciaire de l'Union européenne, 20 % du budget de l'UE et 7 % des contributions des États membres et d'autres donateur.trices.

Une ventilation des allocations de fonds met en évidence l'orientation du processus de Khartoum.

400 millions d'euros ont été alloués à la gestion des migrations, dont 55% vont à des programmes visant à restreindre la migration irrégulière par l'endiguement et le contrôle. 4 % vont à la sensibilisation, 25 % à la mise en œuvre de réformes politiques pour les retours, 13 % à l'amélioration de l'identification des ressortissants des pays et 3 % au développement de voies de migration sûres et régulières. Environ 248 millions d'euros sont affectés à des projets de sécurité et de consolidation de la paix, bien que les détails sur ces derniers soient limités. Entre 121 et 161 millions d'euros (environ 7% du budget total de l'EUTF) sont consacrés à la collaboration directe avec les forces de sécurité. Les projets de sécurité sont mis en œuvre par Interpol, Civipol, les agences de coopération nationales des États membres et des entreprises privées et publiques. 63% (1,1 million d'euros) du budget de l'EUTF est alloué à la coopération au développement - 86% à l'amélioration de l'accès aux services de base, aux opportunités économiques et au renforcement de la résilience, 9% à la bonne gouvernance et 5% à la protection.

Le financement du développement au Soudan passe par les agences des Nations unies, les organismes d'aide de l'Union européenne et les ONG locales. Les ONG locales doivent toutes être enregistrées auprès du gouvernement soudanais, et l'expérience de première main a révélé qu'elles sont souvent un moyen de canaliser les fonds dans les poches des acteurs.trices étatiques. La Commission soudanaise d'aide humanitaire (HAC) doit être consultée avant tout partenariat avec une ONG locale et contrôle les ONG qui peuvent opérer et ce qu'elles font. La HAC est un organe politique qui, sous l'ancien président Omar El Bashir, était une branche des services nationaux de renseignement et de sécurité (NISS). Le NISS a été accusé de torture, de viols et de meurtres et son chef, Salah Gosh, s'est vu refuser l'entrée aux États-Unis en 2019 en raison de son bilan en matière de droits humains, bien qu'il ait un passeport américain. Cet auteur a été arrêté par des agents du NISS alors qu'il allait rendre visite à des enseignant.es réfugié.es dans un camp à Khartoum, car les camps ne peuvent être visités qu'accompagné.e d'un responsable de la sécurité. Toute organisation qui se rend sur le terrain se voit attribuer un agent de sécurité pour l'accompagner. Les réunions de sensibilisation des groupes de discussion au Soudan étaient toutes accompagnées d'un agent de sécurité, ce qui limitait la participation des sans-papiers. Depuis la chute de Bashir, on ignore si le HAC est toujours contrôlé par les forces de sécurité, mais cela reste la croyance largement répandue parmi les Soudanais impliqués dans le développement ou ceux qui connaissent le HAC.

L'UE déclare catégoriquement qu'elle ne fournit aucun soutien financier au gouvernement du Soudan. L'organisation du travail de développement au Soudan, où tout doit être rapporté au gouvernement et où toute organisation doit être acceptée par le gouvernement, ne permet pas de comprendre comment l'UE peut être catégorique dans cette déclaration.

La Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ) et le British Council supervisent le travail sur le terrain de certaines organisations de la société civile (OSC) dans chaque État. Toutes les OSC sont contrôlées par le HAC. Les hauts responsables de toutes les organisations concernées sont peu convaincus que le travail des OSC puisse réduire la migration irrégulière. Ainsi, peu d'attention est accordée à l'évaluation du travail des OSC. L'expérience de l'auteur amène à penser qu'il s'agirait simplement de « cocher des cases » pour indiquer que les fonds avaient été distribués aux OSC et qu'il n'y avait aucun moyen de confirmer les résultats de leur travail.

Types de projets mis en œuvre et controverses

Le processus de Khartoum vise à réduire le trafic et la contrebande (passages de migrant.es vers l'Europe) en renforçant la sécurisation des frontières, en sensibilisant aux voies de migration légales et aux dangers de la migration irrégulière et en s'attaquant aux causes profondes par le biais de projets de développement. Les projets de développement mis en œuvre grâce au financement de l'EUTF visent à « répondre aux diverses causes d'instabilité, de migration irrégulière et de déplacement forcé. » Selon le site web de l'EUTF, 28 projets de développement sont mis en œuvre au Soudan, vous pouvez les trouver ici. La majorité d'entre eux ont pour objectif de « renforcer la résilience », pour un montant total de 432 610 000 euros. Le site web de l'EUTF indique un nombre élevé de bénéficiaires. Cependant, la manière dont ces projets sont censés accompagner les réfugié.es installé.es dans des camps ou les migrant.es sans papiers incapables de travailler légalement n'est pas claire. Toutefois, étant donné que les réfugié.es qui demandent l'asile sont tenus de résider dans des camps et que les sans-papiers ne peuvent pas travailler légalement, on ne voit pas bien comment les projets de développement financés par l'EUTF leur profitent.

L'inexistence de voies de migration légales pour ceux.celles qui envisagent de traverser la frontière, l'existence de vidéos de torture de migrant.es contre rançon en Libye (souvent de proches) sur les téléphones de la plupart des migrant.es potentiel.les et l'idée non fondée sur le plan académique, de « causes profondes » de la migration qui peuvent être résolues par le « développement » concentrent l'objectif du processus de Khartoum sur les contrôles aux frontières. Il existe peu de voies de migration légales pour ceux qui envisagent de traverser la frontière et tous les migrant.es potentiels rencontrés par cet auteur avaient connaissance de la Libye et avaient sur leur téléphone des vidéos de migrant.es torturé.es contre rançon. L'idée de « causes profondes » de la migration qui peuvent être résolues par le « développement » n'est pas fondée sur le plan académique. Le processus de Khartoum se concentre donc sur le contrôle des frontières et l'endiguement des migrant.es irrégulier.ières.

« Better Migration Management » (Meilleure gestion des migrations)

Le programme « Better Migration Management » (BMM) est un programme pluriannuel et multi-partenaires cofinancé par l'EUTF et le ministère fédéral allemand de la coopération économique et du développement. Il est coordonné par la GIZ. L'Organisation internationale pour les migrations (OIM), l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), Expertise France, la police d'État italienne, CIVIPOL et le British Council sont les partenaires de mise en œuvre étrangement regroupés.

Les objectifs du programme « Better Migration Management » sont les suivants :

(II) Renforcer les capacités de toutes les institutions et agences responsables de la gestion des migrations et des frontières (telles que les fonctionnaires de première ligne, les agents chargés de faire respecter la loi ou les organes judiciaires), notamment par la formation et l'assistance technique, en améliorant les procédures d'enquête et de poursuite des cas de traite des êtres humains et de trafic de migrant.es, en améliorant la collecte des données et en favorisant le partage des informations, en fournissant aux bureaux gouvernementaux et aux postes de gestion des frontières des outils et des équipements essentiels, et éventuellement en développant les infrastructures, en favorisant une meilleure coordination entre les différentes institutions et agences concernées.

Au Soudan, la signification exacte de cette formulation mise en exergue a suscité une grande controverse et l'UE a nié à plusieurs reprises avoir fourni des équipements aux gardes-frontières et financé les Janjiweed (forces de soutien rapide - RSF), une milice prétendument responsable du génocide au Darfour. Cependant, Mohammad Dagalo (connu sous le nom de Hemmeti), le chef des RSF, a également déclaré à plusieurs reprises, qu'il « fait le travail de l'UE » et donne régulièrement des chiffres sur le nombre de « migrant.es illégaux.ales » que ses forces ont détenu.es et expulsé.es.

Martin Weiss, le chef du projet BMM en Allemagne, insiste sur le fait que le programme vise à protéger les migrant.es. « Le BMM n'a pas pour but de surveiller les frontières, mais de protéger les réfugié.es, de faciliter la migration et d'améliorer les conditions des personnes qui fuient leur foyer », a-t-il écrit dans un courriel. « À l'heure actuelle, de nombreux.euses réfugié.es sont exposé.es à la violence, à l'esclavage ou au viol. Nous voulons apporter une réponse efficace à ce problème. »

Il est difficile de voir comment les objectifs déclarés du BMM, et les programmes qu'il met en œuvre, améliorent les résultats pour les réfugié.es. Poursuivre les trafiquant.es n'aiderait les réfugié.es que s'il existait des voies simples vers l'asile, des opportunités de travail légal et des options de migration, mais ce n'est pas le cas.

La lutte contre la contrebande et le trafic

Le processus de Khartoum fait l'amalgame entre la traite et le trafic, et criminalise les deux. Nombre de ceux.celles qui aident les migrant.es à traverser les pays et les frontières ont le sentiment de rendre un service nécessaire. La sécurisation accrue a à la fois augmenté les risques pour les migrant.es et les marges bénéficiaires des passeurs. Cela a conduit à un monopole du passage clandestin par des bandes criminelles et des milices ayant des contacts avec le gouvernement, plutôt que par des individus qui estiment pouvoir aider et gagner un peu d'argent en même temps. L'auteur connaît des personnes qui, avant 2016, étaient régulièrement abordées aux arrêts de taxi dans l'État de la mer Rouge (Soudan oriental) par des migrant.es espérant passer en Égypte et prêts à payer pour une course. Aujourd'hui, ces chauffeurs disent qu'ils n'oseraient pas le faire de peur d'être agressés par les « gangs du gouvernement » qui ont pris le pouvoir.

Renforcement des capacités

Renforcer les capacités des forces de sécurité au Soudan, c'est renforcer le pouvoir d'institutions dont le rôle principal a été d'opprimer les citoyen.nes. Au Soudan, la loi oblige les demandeur.euses d'asile à rester dans des camps, de sorte que tout programme de développement ne peut guère contribuer à accroître leurs chances. Les rapports d'Oxfam et Human Rights Watch. font état de tortures et de viols commis par les forces de sécurité, de paiements à des milicien.nes pour le transport ou de pots-de-vin pour la libération des migrant.es. Au Soudan, il est généralement admis par le public soudanais que l'UE finance les FSR pour contrôler les frontières et que ce financement fournit l'armement sophistiqué qu'ils portent dans les rues. Le fait que le site Internet de la BMM indique que les fonds EUTF fournissent une assistance technique et des outils et équipements essentiels pour la gestion des frontières conforte les affirmations de Dagalo contre celles de l'UE. Des milliers d'Érythréen.nes ont été expulsés en violation du droit international.Les retours forcés par voie aérienne de la Libye vers le Soudan en 2020 sont documentés sur les médias sociaux et de manière anecdotique.

Des sources indiquent que le HCR a fourni des motos à la police des frontières dans l'État de Kassala, dans l'est du Soudan. Le procès-verbal d'une réunion du BMM (mai 2019) indique : Aucune formation impliquant la police soudanaise n'est autorisée sans avoir reçu l'approbation préalable de la délégation de l'UE, ce qui suggère que l'approbation de la formation de la police peut être donnée. Les détails du type de projets mis en œuvre avec les forces de sécurité soudanaises proviennent directement du chef des Janjawids rebaptisés, les FSR, Hemmeti. Il rapporte régulièrement le nombre de migrant.es qui ont été « arrêté.es » et déporté.es aux frontières érythréennes et libyennes.

Sensibilisation

Dans le cadre du processus de Khartoum, des activités de « sensibilisation » ont été et continuent d'être organisées dans les pays de la Corne de l'Afrique en tant qu'élément central des stratégies de gestion des migrations de l'UE. Les activités de « sensibilisation », qui visent à informer les migrant.es potentiel.les des voies de migration légales, ont été jugées ridicules par les Soudanais.es travaillant sur le projet, qui devaient organiser des groupes de discussion pour donner des informations sur les possibilités d'emploi, les droits des réfugié.es et des migrant.es et la manière de migrer légalement.

Les OSC sont financées pour organiser des groupes de discussion dans les zones comptant un grand nombre de migrant.es, afin de les informer des dangers de la migration irrégulière et des options alternatives qui s'offrent à eux. La législation soudanaise interdit l'emploi de ressortissants étranger.ères sans permis de travail valide et applique une politique de campement pour les personnes qui demandent l'asile.

La promotion de fictions (par exemple, il n'est pas possible de travailler légalement sans le parrainage d'un.e employeur.euse ; il n'existe pas de voies de migration légales pour le.la Soudanais.e moyen ; et pour demander l'asile, il faut être dans un camp et ne pas travailler) rend les intentions de cette stratégie peu claires. L'inutilité de ces groupes de discussion n'a pas empêché le financement d'un deuxième cycle, bien que la principale activité de ces groupes soit la distribution de rafraîchissements.

Collecte et échange d'informations

En 2017, le centre d'opérations régional de Khartoum (ROCK) a été créé avec un financement de 5 millions d'euros. Son objectif est de « partager et analyser les informations » pour mieux gérer les migrations. Il a été fermé entre juin et septembre 2019 après des allégations selon lesquelles il aurait fourni des formations au FSR. Les représentant.es de l'UE ont déclaré que le centre ROCK avait été fermé pour « protéger la sécurité de son personnel ». Notamment, le site Web de Civipol indique que le ROCK est mis en place au profit d'un consortium d'États membres de l'Union européenne (EM de l'UE) d'un consortium d'États membres de l'Union européenne (EM de l'UE) et Royaume-Uni, de l'Italie, de l'Espagne en tant que partenaire associé et de l'Allemagne en tant qu'observateur, et en partenariat avec INTERPOL et l'Union africaine. Un nouveau Centre d'opérations continental, créé par l'Union africaine, a ouvert ses portes en décembre dernier,avec les mêmes objectifs de partage d'informations pour améliorer la gestion des migrations et éradiquer le trafic et la traite des migrant.es. La différence entre le centre de l'Union africaine et celui de Civipol n'est pas claire. L'UE a déclaré qu'il n'y aurait pas d'échange de données entre les deux centres, mais que le nouveau centre « mettrait en œuvre les enseignements tirés » par ROCK.

Comment les projets sont évalués

Il n'y a eu aucune évaluation externe des programmes mis en œuvre dans le cadre du processus de Khartoum. Des spécialistes du suivi et de l'évaluation sont engagé.es par les organisations de mise en œuvre. Cependant, selon l'expérience de l'auteur, l'évaluation est un exercice de type « boîte à cocher » et consiste à compter le nombre de participant.es plutôt que de s'intéresser aux changements de comportement ou à l'amélioration des opportunités.

Le manque d'engagement avec les communautés locales conduit à des opportunités manquées. Par exemple, les Rashaida, une tribu arabe nomade de l'est du Soudan, sont des trafiquant.es tristement célèbres, qui emmènent des migrant.es en Libye puis les vendent ou les rançonnent. La population locale sait qui sont ces Rashaida et peut les désigner à quiconque le demande. Cependant, les Rashaida continuent de prendre des personnes dans les camps du Soudan oriental pour de l'argent. Les habitant.es affirment qu'ils ne pensent pas que les fonctionnaires, y compris ceux qui travaillent pour le HCR, s'en soucient.

Des évaluations indépendantes réalisées par Oxfam et la SOAS ainsi que des rapports publiés dans les médias soudanais locaux, indiquent que les activités du processus de Khartoum au Soudan ont mis des vies en danger et donné du pouvoir aux trafiquant.es. Cela a conduit à des démentis de la part de l'UE et rien n'a changé dans la mise en œuvre du programme, si ce n'est une augmentation du financement.

Avantages douteux et résultats problématiques

On ne sait pas très bien comment les programmes de développement, de renforcement des capacités et de sensibilisation ont bénéficié aux migrant.es et aux migrant.es potentiel.les. Le renforcement des contrôles aux frontières et le renforcement des forces de sécurité exposent les migrant.es à de plus grands dangers, ce qui augmente les profits des passeur.euses et des trafiquant.es. Les rapports de migrant.es faisant état de tortures, d'extorsions et de déportations ont augmenté depuis la mise en place du processus de Khartoum. Des milliers de ressortissants érythréen.nes ont été expulsés du Soudan ou empêchés d'y entrer, sans avoir accès à la procédure de demande d'asile. Des Soudanais ont été renvoyés de Libye et du Tchad, également sans procédure régulière. Les légères protestations du HCR au sujet des expulsions d'Érythréen.nes en 2016 ont été réduites au silence alors que le HCR au Soudan fait face à ses propres accusations de corruption.

Les lois qui ont été mises à jour depuis la chute de Bashir incluent la suppression de l'exigence du « permis de sortie » pour les citoyen.nes soudanais.es voyageant à l'étranger. Toutefois, les citoyen.nes soudanais qui quittent le pays par avion doivent être munis d'un visa pour les pays européen.nes, de sorte qu'ils ne posent pas de problème à l'UE, puisqu'ils ont déjà été « contrôlés ». Les lois concernant les permis de travail, la politique de campement et les droits du travail pour les citoyen.nes étranger.ères afin de prévenir l'exploitation restent inchangées, depuis la loi de 1994 sur les passeports et l'immigration au Soudan.

Avec ces politiques, il est difficile de voir comment les programmes de développement dans le cadre du processus de Khartoum pourraient bénéficier aux migrant.es irrégulier.ères potentiel.les. Bien que les piliers 1, 3 et 4 du GAMM se concentrent sur l'amélioration des voies de migration légales et les impacts de la migration sur le développement, la gouvernance et la situation juridique au Soudan et dans l'UE limitent les résultats possibles des programmes dans ces domaines. Par conséquent, les initiatives du processus de Khartoum se concentrent sur la sécurité des frontières et le confinement des migrant.es et des migrant.es potentiels.

Les objectifs du processus de Khartoum en matière de contrôle des migrations sont également en contradiction avec les souhaits exprimés par le gouvernement soudanais. Lors d'une réunion à l'ambassade britannique à Khartoum en 2018, pour discuter du contexte des activités de sensibilisation dans le cadre du processus de Khartoum, le chef du Conseil national de la population de l'époque a directement demandé de l'aide pour faire face aux centaines de milliers de Soudanais.es du Sud déplacé.es à Khartoum. La représentante soudanaise s'est inquiétée de leur bien-être, du manque de possibilités d'intégration, de l'absence d'emplois décents et du taux de criminalité élevé dans les camps sud-soudanais. Elle a été complètement ignorée par les représentant.es européen.nes. Le fait que les Soudanais.es du Sud ne montent pas sur les bateaux pour l'Europe n'a pas été mentionné et n'intéresse donc pas les bailleurs de fonds, dont le « dialogue collaboratif » ne s'étend que sur des sujets déterminés par l'UE.

Cependant, la réduction des arrivées de migrant.es en Europe en provenance de la Corne de l'Afrique pourrait être la véritable mesure du succès de l'UE. Résoudre la migration irrégulière en la rendant plus difficile, en collaboration avec les États et les institutions responsables du grand nombre de migrant.es irrégulier.ières, semble être l'idée directrice du processus de Khartoum. Les termes du « partenariat » lui-même sont structurés par l'UE.

L'avenir

Les arrivées de migrant.es irrégulier.ières dans l'UE ont diminué, passant de 119, 369 en 2017 à 11 471 en 2019, mais sont de nouveau en hausse, avec 34 154 arrivées en 2020. Au dernier trimestre de l'année dernière, les arrivées en Italie et en Espagne en provenance d'Afrique du Nord avaient augmenté de 176 % par rapport à la même période en 2019. Les Soudanais.es représentaient 28 % des arrivées à Malte. Les interceptions en 2020 par les soi-disant garde-côtes libyens ont augmenté de 25 % en 2020. 23 % (soit 1 319) des arrivées en Europe jusqu'à présent en 2021 étaient des Soudanais. Le FSR est désormais la partie la plus puissante de l'armée soudanaise et l'opinion est largement répandue que le chef Janjiweed Hemmeti est le membre le plus puissant du Conseil militaire de transition, et qu'il est en passe de devenir président en 2022.

La situation au Tigré, qui a poussé les Éthiopien.nes à franchir la frontière vers l'est du Soudan en 2020, a contribué à une augmentation de 343 % des demandeur.euses d'asile enregistré.es. Beaucoup de ces Éthiopiens ont des membres de leur famille déjà au Soudan et en Europe et se rendront de Kassala à Khartoum et au-delà. Selon certaines informations, des Tigréens ont été expulsés de Khartoum vers Um Rakuba, le camp de Kassala. Toutefois, l'importance de la crise du Tigré pourrait se traduire par une meilleure protection de ces nouveaux.elles arrivant.es.

Sans augmentation des options de migration légale, avec une économie soudanaise effondrée et une inflation de plus de 300%, et avec une augmentation des conflits dans tous les coins du Soudan, il est douteux qu'un des programmes mis en œuvre dans le cadre du processus de Khartoum puisse améliorer la vie des migrant.es et des migrant.es potentiel.les au Soudan. La collecte accrue de données, la surveillance des migrant.es potentiel.les et le contrôle des frontières sont autant de facteurs qui augmentent les dangers pour les migrant.es et les profits pour les réseaux de trafiquant.es de plus en plus sophistiqués.

La prévention par l'État de la migration irrégulière constitue la base de la criminalisation du franchissement irrégulier des frontières. Le fait que le terme « migrant.e illégal.e » soit devenu courant, bien qu'il n'existe pas en droit international, est le résultat des stratégies de gestion des frontières de l'UE. Le voyage d'un.e migrant.e sur un bateau est devenu un acte criminel commis par un.e criminel.le. Ceux.celles qui facilitent ce voyage sont des cerveaux criminels. Cette situation soutient et reflète les attitudes répressives des gouvernements. Par exemple, les Erythréen.nes et, jusqu'à cette année, les Soudanais, ont besoin de « permis de sortie » spéciaux pour quitter leur pays légalement. Les raisons qui poussent les gens à migrer sont complexes, pertinentes d'un point de vue historique et contredisent les discussions linéaires sur les facteurs « push-pull ». Il est bien trop complexe et inconfortable de traiter des raisons qui peuvent trouver leurs racines dans les eaux troubles des inégalités mondiales, des différences de salaires et de la colonisation continue des ressources. Les passeur.euses africain.es, qui risquent la vie des gens pour le profit, sont une cible facile et peut-être est-ce la création de ce récit qui est plus importante que l'arrêt des bateaux. La diabolisation de l'« autre » permet d'apaiser les électeurs nationaux face aux inégalités croissantes et au rétrécissement du marché du travail.

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