Turquie
Publié octobre 15th, 2020
Données et caractéristiques principales
La Turquie est un pays aux multiples mouvements d’émigration, de transit et d’immigration. La Turquie est devenue un important pays de premier accueil et de transit pour les personnes cherchant une protection principalement par rapport aux conflits dans les pays voisins tels que la Syrie, l’Iran et l’Irak. Les intérêts de l’UE en matière d’externalisation et ceux de la Turquie, qui souhaite améliorer sa position de négociation vis-à-vis de l’UE, ont fondamentalement façonné les relations entre les deux parties. Dans le même temps, de plus en plus de citoyen.nes turc.ques fuient la « nouvelle Turquie ». Au cours de la dernière décennie, le régime migratoire turc a été davantage institutionnalisé, mis à jour sur le plan juridique et entièrement nationalisé. Ces changements structurels ne signifient toutefois pas nécessairement que la vie et les moyens de subsistance des migrant.es se sont améliorés. En outre, le nouveau et insuffisant système de protection n’est ni fondé sur le droit ni, dans de nombreux cas, transparent. Selon les Nations unies, il y aurait environ 6 millions de migrant.es, y compris des réfugié.es, en Turquie. La Turquie est membre de l’OTAN, du Conseil de l’Europe et, depuis 2005, candidate à l’adhésion à l’Union Européenne.
Économie et gouvernement
La Turquie est un État unitaire fortement centralisé qui est passé en 2018 d’un système parlementaire à un régime de présidence exécutive. Les partisan.es du système présidentiel turc le considèrent comme une constellation pour un mode de gouvernance fluide. Le système est toutefois critiqué pour avoir pratiquement dissous la séparation des pouvoirs et donné au président d’énormes compétences, telles que la nomination des ministres, des gouverneur.ses et du personnel administratif de haut rang, ainsi que l’influence sur le système judiciaire. Ce changement fait suite à un état d’urgence de deux ans (20.07.2016 - 19.07.2018) mis en place après la tentative de coup d’État ratée de juillet 2016, au cours de laquelle environ 250 personnes ont été tuées. La tentative de coup d’État a été suivie de ce que le président turc Recep Tayyip Erdoğan a annoncé comme le « nettoyage du système »: plus de 500 000 procédures préliminaires ont été engagées, près de 20 000 personnes ont été condamnées et environ 150 000 fonctionnaires, enseignant.es et militaires ont perdu leur emploi, prétendument pour avoir des liens avec les putschistes[1]. En outre, plus de 170 médias ont été fermés, 150 journalistes et professionnel.les des médias ont été emprisonné.es et plus de 1 500 associations et organisations de diverses formes ont été fermées. La législation antiterroriste ainsi que le passage au régime présidentiel ont succédé à l’état d’urgence sans mettre fin au pouvoir exceptionnel que les autorités utilisaient dans le cadre de la législation d’urgence. Amnesty International a critiqué le fait que « l’état d’urgence [ait] été utilisé pour consolider un pouvoir gouvernemental draconien, faire taire les voix critiques et supprimer les droits fondamentaux ». Malgré ces accusations, des réformes qui étendent la sphère d’influence du président Erdoğan ont été adoptées, comme le renforcement de la force de ladite police de fortune décidé en juin 2020.
Historiquement, la République turque a été, depuis sa création en 1923, dirigée par un parti unique (le Parti républicain du peuple, ou Cumhuriyet Halk Partisi, CHP) jusqu’en 1950, quatre ans après les premières élections à plusieurs partis. Depuis lors, les gouvernements turcs sont principalement de droite.[2] Établie en tant que « gardienne de la constitution » dans la République turque nationaliste moderne, l’institution militaire turque avait l’habitude de prendre le dessus sur les gouvernements civils et avait mené (plutôt essayé de mener) des coups d’État/ des interventions militaires en 1960, 1971, 1980, 1997 et 2016.
Le Parti de la justice et du développement (Adalet ve Kalkınma Partisi, AKP), fondé en 2001, est au pouvoir depuis 2002. Durant l’ère de l’AKP, le parti a pu se présenter (surtout entre 2007 et 2011) comme une force démocratique avec des programmes de réforme. L’AKP a relativement bien réussi à construire cette image, du moins pendant un court laps de temps, en s’attaquant à trois problèmes majeurs : les relations entre l’armée et la société civile, la « question kurde » et l’accès à l’UE. Cependant, les agissements démocratiques du gouvernement se sont affaiblis (au moins depuis la manifestation de Gezi en 2013) et ont considérablement régressé au lendemain de la tentative de coup d’État de 2016 et du passage au système présidentiel exécutif.
Depuis l’arrivée au pouvoir de l’AKP, le rapprochement avec les pays du Moyen-Orient figure parmi les principales priorités du parti en matière de politique étrangère. Cette priorité a été réaffirmée par l’AKP, en particulier après l’échec des brèves négociations d’adhésion à l’UE.[3] Cette évolution peut être interprétée dans une certaine mesure à travers le prisme culturel et idéologique, mais l’économie politique joue une importance non négligeable dans ce tournant. En tant que partisan de l’économie de marché néolibérale, l’AKP a tenu à ouvrir de nouveaux marchés étrangers pour les exportateurs turcs, notamment pour la classe bourgeoise conservatrice d’Anatolie, l’une des principales composantes du parti.
Lorsque les manifestations du Printemps arabe ont commencé en 2011, l’AKP était certes intéressé par l’établissement de bonnes relations (y compris des accords de libre-échange et de circulation) avec de nombreux pays du Moyen-Orient. Mais l’AKP était aussi à la recherche de gouvernements avec des idéologies similaires pour devenir des partenaires idéaux. Cette stratégie reposait sur l’hypothèse du gouvernement turc selon laquelle toute transition de pouvoir dans la région amènerait nécessairement les Frères musulmans au pouvoir. C’est dans ce contexte, et parallèlement à la volonté d’obtenir un statut international, que s’est façonnée la politique initiale d’ouverture de la Turquie à l’égard des réfugié.es de Syrie et d’autres pays.
Cette attitude a fondamentalement changé lorsque les frontières ont été modernisées et bouclées par l’armée et qu’un mur de béton de 800 km a été érigé le long de la frontière commune avec la Syrie.
Les dynamiques qui ont conduit à ce changement sont liées à une combinaison de facteurs :
- l’hypothèse erronée du gouvernement turc selon laquelle le printemps arabe conduirait rapidement à une transition du pouvoir et que la plupart des réfugié.es pourraient rentrer volontairement,
- la détérioration de l’économie manifestée par l’inflation et l’augmentation du chômage,
- l’atmosphère politique turbulente caractérisée par la répression de l’opposition et une tentative de coup d’État ratée,
- le climat mondial hostile aux réfugié.es et la poursuite des politiques d’externalisation et de sous-traitance de l’UE et de ses États membres, comme dans le cas de la déclaration UE-Turquie.
L’économie turque subit depuis récemment des situations turbulentes. En août 2020, la livre turque a atteint son plus bas niveau par rapport à l’euro. En avril 2020, le taux de chômage a atteint 17,2 %, un record historique. Les faibles performances de l’économie n’ont fait qu’encourager des sentiments anti-migrant.es. Cette situation est allée de pair avec l’encouragement par le gouvernement du retour de jusqu’à 2 millions de réfugié.es dans les zones de sécurité proposées (voir section Zone de sécurité).
La main-d’œuvre migrante en Turquie
Une grande partie de l’économie turque (33 % selon des estimations de 2019[4]) repose surle travail informel et flexible, qui est toléré par l’État car il n’existe pas de mesures efficaces pour lutter contre l’informalité du marché du travail. Des secteurs comme la construction, l’agriculture, le textile et le tourisme dépendent fortement de la main-d’œuvre informelle. Pour de nombreux.ses réfugié.es, la recherche d’un emploi est une raison majeure pour enfreindre les exigences de résidence et quitter la ville assignée (voir 3.1. Le régime de protection de la Turquie). Les barrières linguistiques, la méconnaissance des structures bureaucratiques, l’inadaptation des qualifications, l’absence de permis de travail officiel et la nécessité de subvenir aux besoins de la famille sont autant de raisons qui rendent les travailleur.ses migrant.es particulièrement vulnérables sur le marché du travail (informel).[5] Les travailleur.ses migrant.es, en particulier les Syrien.nes, ont créé une réserve de main-d’œuvre bon marché[6]. Tandis que cette situation fait baisser les salaires de nombreux.ses travailleur.ses (même par rapport à d’autres turc.ques), elle conforte le préjugé de nombreux.ses Turc.ques selon lequel la main-d’œuvre bon marché fait disparaître des emplois.
Selon des études, les réfugié.es syrien.nes entrent sur le marché du travail turc de trois manières : a) en créant leur propre entreprise, souvent en collaboration avec des partenaires locaux, b) en tant que commerçant.es ou artisans.tes indépendant.es et c) en tant que travailleur.ses salarié.es. Les méthodes informelles, y compris les parents et les intermédiaires, sont des outils importants pour trouver un emploi. Selon les études, les réfugié.es syrien.nes sont souvent confronté.es à des bas salaires, de longues heures de travail, des non-paiements et des problèmes de discrimination. L’emploi est courant dans le secteur de la construction, de l’agriculture et des usines (en particulier le secteur textile). Des études de 2017 révèlent un écart salarial important.[7] Le chômage reste néanmoins un problème majeur.
Le travail des enfants est largement répandu dans l’économie turque, notamment pour les familles de réfugié.es, afin de soutenir la vie familiale. En 2014, on estime que le nombre d’enfants actif.ves était d’environ 1 million. Environ 50% travaillaient dans le secteur agricole. Le travail saisonnier est également très répandu. L’exploitation des enfants dans la récolte des noisettes est connue comme l’une des pires formes de travail des enfants.
Les conséquences les plus dramatiques des mauvaises conditions de travail, du manque de contrôle de l’État et de la responsabilité des entrepreneur.ses se traduisent par un nombre élevé de cas de décès liés au travail. Ces décès sont également appelés « meurtres liés au travail » par les syndicats en Turquie afin de souligner la responsabilité de l’employeur.se. Selon Health and Safety Labor Watch-Turkey, en 2018, au moins 108 travailleur.ses migrant.es/réfugié.es ont perdu la vie. Mais les rapports restent tributaires des coïncidences de découverte de cas de mort liées au travail et aucun de ces décès n’a été traduit en justice ni même couvert par les médias. On suppose donc que les chiffres réels sont bien plus élevés. Parmi les raisons qui conduisent à cette situation, il y a le manque d’organisation des travailleur.ses migrant.es ainsi que le manque de communication sur la situation par les syndicats. Par exemple, en juin 2019, cinq personnes sont mortes après un incendie survenu dans l’usine d’Akpınar Textile dans le district de Çayırova à Kocaeli. Trois des victimes étaient syriennes, et 1 afghane ; en janvier 2019, cinq travailleur.es syrien.nes sont mort.es dans l’incendie d’un atelier de meubles à Ankara.
Mouvements migratoires
La Turquie est un pays aux mouvements mixtes d’émigration, de transit et d’immigration. Chacun de ces trois phénomènes a dominé des périodes historiques différentes, mais tous se sont toujours chevauchés en Turquie.
Les travailleur.ses turc.ques qui ont immigré.es dans les pays d’Europe occidentale, en particulier en Allemagne (occidentale) dans les années 1960, 1970 et jusqu’à aujourd’hui, constituent le groupe d’émigré.es le plus important et le plus connu de Turquie. Ce groupe est traditionnellement perçu comme le noyau autour duquel des communautés plus complexes ont émergées. En outre, les demandeur.ses d’asile originaires de Turquie constituent probablement le deuxième groupe le plus important de cette catégorie. Si les demandeur.ses d’asile de Turquie sont traditionnellement issu.es de minorités ethniques et religieuses (comme les Kurdes et les Alévis), les mouvements les plus récents comprennent également des intellectuel.les et des universitaires.
Le nombre de demandes d’asile déposées par des citoyen.nes turc.ques reflète largement les conditions politiques en Turquie. Ces chiffres augmentent surtout pendant et après des troubles politiques comme les coups d’État militaires et les mesures de répression contre les oppositions et différents types de minorités. Depuis les chiffres records enregistrés à la suite du coup d’État militaire de 1980, les demandes d’asile turques ont à nouveau atteint un pic après la tentative de coup d’État militaire de 2016.
Le régime de protection de la Turquie
En raison de sa situation géographique et de sa relative stabilité, la Turquie a été une destination de recherche de protection pour les personnes de pays voisins comme la Syrie, l’Irak, l’Afghanistan et l’Iran. La Turquie est signataire de la Convention de Genève de 1951 et de son protocole de 1967. Elle y applique pourtant une restriction géographique. Les réfugié.es qui ne sont pas originaires de pays européens ne peuvent obtenir le statut de réfugié.e et les droits correspondants en Turquie. La limitation géographique est affirmée dans la première loi interne de la Turquie, la loi n° 6458 sur les étranger.ères et la protection internationale (LFIP), qui régit les migrations dans le pays depuis 2013. La LFIP, considérée comme inspirée par l’UE, est en gestation depuis longtemps dans le cadre des négociations d’adhésion de la Turquie à l’UE. Elle a vu le jour en 2013, déclenchée par le nombre croissant de réfugié.es, en particulier en provenance de Syrie.[8] Cette situation a conduit les autorités turques à adopter des politiques sélectives, ad hoc et spécifiques à chaque pays.
La présence des réfugié.es syrien.nes en Turquie est officiellement réglementée par la « protection temporaire » conformément à la LFIP, un statut basé sur le groupe, qui peut être résilié ou limité par une décision de la présidence. Les réfugié.es non syrien.nes provenant de pays non européens comme l’Irak et l’Afghanistan peuvent demander une protection internationale et obtenir un « statut de réfugié.e conditionnel ». Ces deux statuts (le « temporaire » comme le « conditionnel ») sont conçus comme une solution temporaire seulement et n’ouvrent pas de perspectives à long terme pour les réfugié.es en Turquie.[9] En raison des difficultés, par exemple pour accéder à l’enregistrement, de nombreux réfugié.es restent sans papiers et sont donc menacé.es de détention et d’expulsion.[10]
Outre les réfugié.es des pays voisins, de nombreuses personnes en mouvement en Turquie proviennent de différents pays africains. La majorité d’entre elles vivent en Turquie sans papiers. Les vols directs lancés par les compagnies aériennes turques entre Istanbul et plusieurs villes du continent africain ont facilité ces mouvements. L’expiration du visa et/ou les permis de travail extrêmement difficiles à obtenir sont parmi les principales raisons pour lesquelles ils sont sans papiers. La plupart de ces migrant.es sont originaires du Cameroun, de la Gambie, de l’Ouganda, de la RDC, du Sénégal, de l’Éthiopie, du Nigeria et de la Somalie.[11] Pour une infime minorité de migrant.es africain.es, la Turquie a été leur destination et pas seulement un pays de transit. Il s’agit généralement de personnes plus aisées qui travaillent dans l’entrepreneuriat.[12] Bien qu’il n’y ait pas de chiffres officiels sur les migrant.es africain.es vivant en Turquie, on estime qu’il y a entre 50 000 et 200 000 personnes de différents pays africains dans la ville d’Istanbul[13]. La plupart d’entre eux.elles vivent à Istanbul et travaillent dans les secteurs informels comme l’industrie textile ou comme vendeur.ses à la sauvette. Les quartiers de la ville comme Kumkapi, Tarlabaşı et Dolapdere sont les lieux où les communautés africaines ont établi leurs espaces et réseaux sociaux[14]. Le racisme anti-noir.e et le harcèlement sexuel contre les noir.es sont très répandus[15].
La situation des demandeur.ses de protection internationale est régie par le régime des « villes satellites ». Ils.elles sont censé.es s’enregistrer auprès des autorités responsables (Provincial Directorate for Migration Management, PDMM, « Direction provinciale pour la gestion des migrations ») dans une province donnée. Cependant, toutes les provinces ne sont pas ouvertes à l’enregistrement. Chaque PDMM est autorisée à décider de son « ouverture » ou de sa « fermeture » aux nouveaux enregistrements sans déclaration publique[16]. On estime que la plupart des grandes villes (frontalières) turques sont fermées aux nouveaux enregistrements. En cas de fermeture, les demandeur.ses sont censé.es se rendre dans la ville assignée sous 15 jours. Il est rapporté que les demandeur.ses se retrouvent sans les documents nécessaires pour se rendre dans la province assignée, ce qui augmente le risque de détention et d’expulsion[17]. De plus, des problèmes ont été signalés pour l’obtention des documents nécessaires lors de la demande de ces derniers. Les réfugié.es syrien.nes qui souhaitent demander une protection temporaire, sont également obligé.es de s’enregistrer auprès du PDMM et sont confrontés à des problèmes semblables[18].
La circulation et le séjour des demandeur.ses et bénéficiaires de protection en Turquie sont restreints. Le régime des « villes satellites » limite la circulation des demandeur.ses de protection internationale. Des instructions pour la mise en œuvre de rapports et des restrictions de voyage ont été introduites.[19] Ce n’est qu’en août 2015 que le Directorate General of Migration Management (DGMM, « Direction générale de la gestion des migrations ») a fait usage de la possibilité légale de restreindre et de contrôler le mouvement des Syrien.nes en Turquie. En 2017, la possibilité d’introduire des obligations de déclaration pour les bénéficiaires a été activée par la DGMM. Le non-respect des restrictions peut entraîner l’application d’un code de sécurité et la détention.[20] Alors que les autorités ne surveillaient pas strictement l’obligation de rester dans la province assignée par le passé, des interceptions et des expulsions massives ont été menées à Istanbul et d’autres grandes villes en raison de problèmes de résidence (en 2019).
Le logement reste un problème certain pour les demandeur.ses et bénéficiaires de protection en Turquie. Le nombre de centres d’hébergement temporaire pour les bénéficiaires de la protection temporaire est régulièrement réduit, alors que dans le même temps la capacité de détention est augmentée. Cela se passe également avec le soutien de l’UE (voir section Soutien dans le domaine du contrôle des frontières et du retour). Au 27 février 2020, seuls 2% du total des bénéficiaires de la protection temporaire étaient hébergé.es dans un camp. La grande majorité des bénéficiaires de la protection temporaire est laissée à son propre sort en matière de logement. Parmi les défis auxquels sont confronté.es.les bénéficiaires qui ne sont plus hébergé.es dans un camp, il y a le manque de moyens financiers, la barrière de la langue et le manque de soutien.[21] Cela concerne également les demandeur.ses de protection internationale et les bénéficiaires du statut de réfugié.e conditionnel.le. Il n’existe qu’un seul centre d’accueil et d’hébergement de 100 places dédié à ce groupe. En règle générale, les demandeur.ses et les titulaires du statut doivent trouver leur propre logement.[22] Des études montrent que les réfugié.es syrien.nes sont à la merci des propriétaires en matière de prix sur le marché du logement et vivent souvent avec des loyers bien au-dessus du prix moyen. « De nombreuses familles vivent dans une pauvreté abjecte, souvent dans des conditions de logement insalubres, voire dangereuses. » [23] La situation du logement est particulièrement alarmante à Istanbul, où de nombreuses personnes s’installent dans l’espoir de trouver un emploi.
L’accès au marché du travail, bien que restreint par certaines limites de temps ainsi que par une pré-demande légale, est théoriquement donné aux deux groupes. Cependant, en pratique, le nombre de permis de travail délivrés reste faible. Selon les derniers chiffres disponibles, en 2018, seul.es 823 Afghan.es ont reçu un permis de travail. Bien que le nombre total de réfugié.es syrien.nes disposant d’un permis de travail soit plus élevé, il ne se rapporte qu’à un faible pourcentage de la population globale de réfugié.es syrien.nes en Turquie[24]. En général, la plupart des demandeur.ses et des bénéficiaires des deux catégories sont confronté.es à l’emploi non déclaré, à l’exploitation et à des conditions de travail non conformes aux normes (voir section La main-d'oeuvre migrante en Turquie)[25].
Détention et expulsion
La détention illégale et les expulsions de Turquie ont été continuellement documentées par des organismes de surveillance tels qu’Amnesty International, Human Rights Watch et d’autres.[26] Le démantèlement de la démocratie en Turquie affecte également le système de protection et a encore réduit les normes de protection, notamment en ce qui concerne le principe du non-refoulement.
En octobre 2016, le décret présidentiel 676 a élargi le champ des expulsions par la loi. Selon l’amendement, les décisions d’expulsion peuvent être émises à n’importe quel stade de la demande de protection internationale ou après que la protection ait été accordée, en cas « d’appartenance à une organisation terroriste, de menace pour l’ordre public ou la sécurité ». Alors que les recours contre une décision générale d’expulsion avaient un effet suspensif automatique, les groupes mentionnés ne sont plus couverts par cette disposition[27]. Ce n’est qu’après un arrêt de la Cour constitutionnelle en 2019 que l’exemption de cette disposition a été révoquée.[28] La disposition n’introduit pas de procédure formelle pour évaluer les allégations. Elle ne rend pas non plus nécessaire une décision de justice pour déclencher l’ordre d’expulsion.
Une longue liste de « codes de restriction » a été introduite. Ceux-ci sont émis par la DGMM (« Direction générale de la gestion des migrations »). Ni la liste ni l’application ne sont gérées de manière transparente.[29] Les ONG signalent que les personnes découvrent souvent par coïncidence qu’une restriction leur a été appliquée. Des expulsions pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique [code de restriction G82] et de santé publique [code de restriction Ç116] auraient été liées à des codes de sécurité.[30] D’autres exemples de codes de restriction sont : permis de travail-autres activités [code de restriction N99], Retour Grèce [code de restriction V89] ou maladie [code de restriction G78].[31]
Au cours de l’été 2019, les autorités ont augmenté les contrôles déjà lourds et intercepté principalement des réfugié.es syrien.nes pour des raisons de non-enregistrement dans la ville ou de travail informel. Les opérations ont été annoncées par le gouverneur d’Istanbul (nommé par le président). Le gouverneur a ordonné aux personnes non enregistrées de quitter la ville d’ici au mois d’août (au plus tard en octobre 2019) mais d’intenses interceptions et expulsions avaient déjà été signalées auparavant. Selon le gouverneur, de juillet 2019 à la fin de l’année, près de 120 000 personnes ont été arrêtées pour un séjour irrégulier dans la ville. Alors que certaines ont été renvoyées dans leur ville d’enregistrement, d’autres ont été placées en détention et ont été forcées d’accepter de retourner « volontairement » en Syrie, d’autres ont été déportées directement (principalement vers la province d’Idlib-Syrie).[32] En juin 2019, les civil.es d’Idlib ont subi de lourdes attaques du régime d’Assad, soutenu par la Russie. Amnesty International a documenté des frappes contre des hôpitaux, des écoles et des maisons d’habitation. Les interceptions non élucidées ne se sont pas limitées à Istanbul uniquement, mais ont également eu lieu dans d’autres villes et sont toujours en cours[33]. Les expulsions intensives ont suivi l’annonce du président Erdoğan, qui encourageait les réfugié.es syrien.nes à rentrer chez eux[34]. Il a intégré cette menace en réponse à la haine croissante des étranger.es au sein de la population (voir 4.2 Zone de sécurité).
Suivant l’exemple de l’UE, la Turquie renforce ses liens avec les pays tiers afin de faciliter les retours. À la suite des efforts croissants pour établir des mécanismes d’expulsion avec le gouvernement afghan, des responsables afghan.es sont arrivé.es en Turquie en 2018 et ont fourni des documents de voyage qui facilitent le retour des ressortissant.es afghan.es. En avril 2018, le premier vol charter d’expulsion vers l’Afghanistan a décollé de Turquie. Selon le journal turc Daily Sabah, plus de 20 000 Afghan.es ont été expulsé.es entre janvier et mai 2019[35].
La pression au retour s’accompagne de l’augmentation de la capacité de détention. La Turquie maintient près de 30 centres officiels de détention avant renvoi (d’une capacité de 20 000 personnes) et d’autres sites de détention non officiels.[36] L’élan de ces dernières années a été financé avec le soutien de l’UE (voir section Soutien dans le domaine du contrôle des frontières et du retour).
Routes et obstacles pour atteindre la Turquie
Les murs frontaliers et les lois plus restrictives rendent difficile la fuite vers la Turquie. Bien que les passages frontaliers n’aient jamais été complètement fermés, les mesures de sécurité frontalières introduites depuis 2015 ont rendu la tâche plus difficile et plus dangereuse. En 2019, le plus grand groupe intercepté lors de la tentative de passage irrégulier était composé d’Afghan.es[37]. Les organisations de défense des droits humains telles qu’Amnesty International rapportent et condamnent en permanence les refoulements illégaux et violents de réfugié.es vers la Syrie et l’Irak[38]. Le rapport fait été également de l’utilisation d’armes à feu.
764 km de la frontière partagée entre la Turquie et la Syrie, longue d’environ 900 km, sont clôturés par un mur en béton. Le projet a débuté en 2015 et s’est achevé en juin 2018. En outre, les réglementations sur les visas introduites en 2016 ont appliqué des restrictions aux Syrien.nes qui arrivent de pays tiers.
La Turquie a construit un mur frontalier de 144 km le long de sa frontière commune avec l’Iran, longue de plus de 500 km[39].
En 2017, le président Erdoğan a évoqué des projets de construction d’un mur frontalier le long de la frontière avec l’Irak. Cependant, aucun travail de construction n’a été signalé jusqu’à présent.
Il a été signalé que le ministère de l’Intérieur a ordonné aux chauffeur.ses de bus de l’Est de la Turquie de ne transporter que des passagers ayant des documents de transport valides.[40] Les modifications apportées à la loi en décembre 2019 sanctionnent l’hébergement de personnes en quête de protection sans enregistrement, que cela soit fait sciemment ou non.[41] L’intensification des contrôles à l’intérieur du pays augmente le risque d’interception et de détention des personnes en quête de protection qui traversent la Turquie. Les organisations de défense des droits des réfugié.es en Turquie signalent que pour éviter les contrôles de police à l’intérieur du pays, des itinéraires dangereux, comme la traversée du lac Van, sont utilisés. Le plus récent naufrage sur le lac a été documenté en juillet 2020. On craint qu’il y ait eu 60 victimes.
Routes et obstacles pour atteindre l’UE
Les demandeur.ses de protection qui tentent de se rendre dans l’Union européenne utilisent principalement les aéroports internationaux, la route de la Méditerranée orientale vers la Grèce ou traversent la frontière terrestre commune vers la Grèce ou la Bulgarie. La route vers Chypre, la traversée de la mer Noire vers la Roumanie ou la traversée de la Méditerranée vers l’Italie sont également fréquentées mais moins courantes. Afin d’empêcher les traversées, les mesures de surveillance et de protection des frontières ont été renforcées au niveau national et international.
Durant l’été de forte migration en 2015, la route de la Méditerranée orientale, de la côte ouest turque aux îles égéennes orientales de la Grèce, était la route migratoire principale vers l’UE. Alors qu’en 2015, près de 900 000 personnes ont atteint les îles de la mer Égée orientale, ce nombre a été réduit à moins de 180 000 personnes en 2016 et à seulement 42 000 en 2017. En 2019, près de 60 000 personnes ont atteint les îles de la mer Égée. Le nombre de mort.es est passé de 803 victimes en 2015 et 434 victimes en 2016 à 71 victimes en 2019.En juillet 2020, la Grèce était prête à installer une barrière flottante de 2,7 km de long et de 1,10 mètre de haut dans la mer Égée afin d’empêcher les personnes en déplacement d’atteindre l’île de Lesbos. Bien que le matériel ait déjà été acheté, les plans ont été abandonnés par le gouvernement grec.
Selon le ministère turc des Affaires étrangères, plus de 58 000 réfugié.es ont été repoussé.es par les autorités grecques entre novembre 2018 et novembre 2019. La plupart étaient originaires du Pakistan, suivis des Afghan.es, des Somalien.nes et des Bangladais.es. Selon les responsables turc.ques, la plupart d’entre eux.elles ont été expulsé.es vers leur pays d’origine, tandis que les Syrien.nes ont (ré)obtenu le statut de protection temporaire (voir section Détention et expulsion). Il n’est pas possible de vérifier ces informations. Toutefois, les refoulements aux frontières terrestres et maritimes sont de plus en plus souvent signalés.
Les personnes traversant la mer Méditerranée pour chercher une protection dans l’UE sont souvent empêchées d’arriver et sont poussées vers les eaux territoriales turques afin que la Turquie les intercepte et les renvoie. « Les rapports [reçus] font référence à des actes comprenant : des manœuvres de navires des garde-côtes grec.ques à grande vitesse près des bateaux de réfugié.es ; la confiscation du carburant et/ou la destruction des moteurs ; le fait de pointer des armes à feu sur les personnes à bord des bateaux de réfugié.es ; le remorquage des bateaux vers la Turquie, laissant les personnes à la dérive sur des canots pneumatiques souvent en mauvais état et surchargés et mettant leur vie en danger. Dans certains cas, les rapports reçus font état des comportements suivants : bateaux de réfugié.es percutés ; tirs à proximité des bateaux de réfugiés ou en l’air ».[42] Au cours de l’été 2020, les pratiques de personnes arrêtées et repoussées vers la Turquie après avoir atteint une île grecque sont de plus en plus signalées. Dans plusieurs cas, les garde-côtes grec.ques recueillent des réfugié.es, les mettent sur des radeaux de sauvetage, les traînent vers la Turquie et les abandonnent à leur sort. Les garde-côtes turcs documentent abondamment les sauvetages/interceptions en mer sur leur site web. Selon les observateurs.rices, la Turquie se félicite de ce nouveau rôle afin de renforcer son bilan en matière de droits humains en démontrant qu’elle respecte ses obligations en vertu du droit international. Suite à la signature de l’accord UE-Turquie, la Turquie contrôle fortement sa frontière maritime et empêche ainsi les arrivées dans l’UE.
Les arrivées par voie terrestre dans l’UE au départ de la Turquie se font en traversant la frontière au niveau des rivières Meriç (TR)/ Evros (GR)/ Maritsa (BG) vers la Grèce ou la Bulgarie. Pour atteindre la Grèce, il existe également une route via la mer de Tharcande pour atteindre Alexandroupolis (GR). Avec la signature de l’accord UE-Turquie, l’importance de la frontière terrestre a augmenté. De 2016 à 2017, les traversées terrestres vers la Grèce ont presque doublé pour atteindre environ 6 500 personnes. En 2019, près de 15 000 personnes ont atteint l’UE en traversant la frontière terrestre turco-grecque.[43] Cependant, dès 2011, la construction d’une clôture frontalière a été lancée le long du tronçon de 10 km de la frontière entre Kastanies (GR) et Nea Vyssa (GR), près de la ville frontalière turque d’Edirne, où la rivière ne crée pas de barrière naturelle et qui constituait auparavant une voie relativement sûre vers l’UE.
En réponse à l’interruption unilatérale des contrôles frontaliers et à l’ouverture des frontières par la Turquie en mars 2020, Athènes a annoncé qu’elle allait poursuivre l’extension de la clôture frontalière et renforcer les mesures de refoulement.[44]
La frontière commune de la Turquie et de la Bulgarie est longue d’environ 270 km. 210 km de la frontière sont sécurisés par une clôture, apparemment facilement contournable. Il est difficile d’estimer le nombre total de passages, car la plupart des personnes en déplacement restent en transit en Bulgarie et évitent tout contact avec les autorités. Selon les autorités bulgares, en 2018, plus de 5 000 personnes ont été empêchées de franchir la frontière depuis la Turquie. Au cours des dix premiers mois de 2018, plus de 2 000 personnes ont été interceptées en tentant de franchir la frontière. Contrairement aux relations toujours tendues entre la Turquie et la Grèce, les relations entre la Bulgarie et la Turquie sont, selon les rapports, amicales, ce qui se remarque également dans les contrôles frontaliers.
Efforts de l’UE en matière de prévention des mouvements transfrontaliers en provenance de Turquie
La prévention des mouvements transfrontaliers est un sujet de préoccupation pour différentes entités. Parallèlement aux efforts de la Turquie pour accroître ses capacités de surveillance des frontières, l’UE soutient ses États membres afin de prévenir les traversées.
Frontex, aujourd’hui l’agence frontalière de l’UE, a signé le premier protocole d’accord avec la Turquie en mai 2012. En février 2014, un plan de coopération a suivi. En 2016, un bureau de liaison a été déployé en Turquie et des mécanismes de soutien financier ont été établis afin de renforcer le contrôle des frontières.
En Grèce, la première opération Frontex a été déployée en 2011. Depuis mai 2020, Frontex est active à la frontière commune avec (a) deux équipes d’intervention rapide aux frontières, Evros 2020 et Aegean 2020 (toutes deux mises en place après l’escalade des tensions à la frontière commune entre la Grèce et la Turquie en mars 2020)[45], (b) les « Activités Opérationnelles Flexibles 2020 » (terrestres) et (c) l’ « Opération conjointe Poséidon 2020 » (maritime). Plus de 400 gardes-frontières déployé.es sont impliqué.es dans les opérations énumérées.[46] Dans le cadre de ces opérations, des navires, des hélicoptères, des véhicules, des drones, des outils de surveillance et des avions de surveillance aérienne sont déployés. En mars 2020, des actes de violence et des comportements dangereux de la part des gardes-frontières nationaux.ales ainsi que des cas de non-sauvetage ont été documentés. Même à ce moment-là, Frontex n’a enregistré qu’un seul incident dans la mer Égée, susceptible d’avoir enfreint les obligations en matière de droits humains. L’incident concerne le refus d’un équipage danois, dans le cadre d’un mandat de Frontex, de suivre l’ordre des garde-côtes grec.ques de procéder à un repoussage. Selon Frontex, l’ordre était le résultat d’une « mauvaise compréhension » du plan opérationnel.
Frontex soutient l’expulsion dans le cadre de l’accord UE-Turquie (voir section Accord UE-Turquie).
À la frontière turque avec la Bulgarie, Frontex est également présente dans le cadre d’une opération conjointe. Outre les quelques 50 gardes-frontières déployé.es qui patrouillent aux côtés de leurs homologues bulgares, l’équipement mis à disposition par Frontex est particulièrement important pour la Bulgarie.
En février 2016, l’OTAN s’est prononcée en faveur d’opérations en mer Égée entre la Turquie et la Grèce « pour couper les lignes de trafic d’êtres humains et de migration illégale ». En coopération avec la Turquie, la Grèce et Frontex, des unités de l’OTAN effectuent des contrôles et des surveillances. « Les navires de l’OTAN fournissent des informations en temps réel aux garde-côtes et aux autorités nationales compétentes de la Grèce et de la Turquie, ainsi qu’à Frontex ». Des éléments indiquent que des refoulements se déroulent dans la zone des opérations Frontex/OTAN et à proximité des unités déployées. En juin 2020, l’équipage du « Berlin », déployé en tant que navire de tête dans le cadre de la mission permanente de l’OTAN, a constaté qu’un canot pneumatique contenant des personnes en quête de protection avait été forcé par les garde-côtes grec.ques à entrer dans les eaux territoriales turques. Ils.Elles ne sont pas intervenu.es.
Les missions fournissent des renseignements aux garde-côtes responsables, et augmentent la capacité des différentes unités, ce qui entraîne une augmentation des interceptions et d’éventuels replis.
Projets de l’UE
L’accord UE-Turquie
L’accord UE-Turquie fait référence au communiqué de presse publié par le Conseil européen le 18 mars 2016 sous le nom de « Accord UE-Turquie ». Il s’agit d’une communication sur un accord politique non contraignant introduit après l’été 2015 consacré aux migrations et qui s’adresse à différentes entités politiques. En tant que tel, il n’a jamais fait partie d’un acte législatif dans aucun Parlement européen. Il vise à endiguer la fuite des réfugié.es principalement syrien.nes sur la route de la Méditerranée orientale vers l’UE en renforçant les contrôles aux frontières, le confinement sur les îles grecques et le retour en Turquie. Conjointement à l’introduction de l’approche par « hotspots », il a eu des effets majeurs sur la loi grecque sur l’asile, la situation des réfugié.es et des communautés d’accueil sur les îles orientales de la mer Égée (Chios, Lesvos, Samos, Kos et Leros) Il a également façonné les relations politiques entre la Turquie et l’UE. En outre, cet accord est considéré comme un modèle pour des accords similaires sur la migration avec les pays de transit. La fermeture des frontières de la Turquie avec les pays voisins et l’expansion de la construction d’installations frontalières fixes sont considérées comme un effet domino de la politique européenne d’externalisation.
La déclaration est également connue sous le nom d’ « accord toxique » ou d’ « accord sale » en raison des critiques généralisées concernant le manque de légitimité démocratique, la dégradation des normes de protection internationale et l’externalisation des contrôles et de la protection des frontières vers un pays qui ne dispose pas des garanties essentielles en matière de droits humains. En particulier après la tentative ratée de coup d’État en 2016, l’UE a été critiquée pour ne pas avoir pris suffisamment de mesures contre la dérive autoritaire de la Turquie. Ceci était lié à la crainte que la Turquie mette fin à l’accord. En outre, il a été critiqué que la diminution significative des garanties juridiques dans le régime de protection turc avant et surtout après la tentative de coup d’État manqué n’a pas été prise en compte dans l’application du concept de pays tiers sûr/pays d’asile sûr en ce qui concerne la Turquie. Alors que les groupes de défense des droits humains n’ont cessé de plaider pour l’arrêt de l’accord UE-Turquie, les dirigeants de l’UE valorisent l’accord comme une histoire de réussite puisque le nombre de réfugié.es atteignant l’île égéenne a considérablement diminué (passant de 856 723 arrivées par la mer en 2015 à 29 718 arrivées par la mer en 2016), tandis que le nombre de réfugié.es syrien.nes en Turquie a augmenté, passant de 2,5 millions de réfugié.es syrien.nes enregistré.es en 2015 à près de 3 millions à la fin de 2016[47].
L’impact de l’accord est principalement attribué à l’architecture frontalière turque et à l’effet dissuasif des hotspots. Les expulsions, techniquement un point central de l’accord, sont restées à un niveau constamment bas et sont généralement considérées comme un aspect secondaire de l’impact de l’accord. Mais ceci pourrait changer sous peu.
Sur la voie d’un accord toxique
L’accord est le premier aboutissement de négociations politiques croissantes de l’UE et de ses États membres avec la Turquie en 2015. Du point de vue de l’UE, la coopération avec la Turquie s’inscrit dans le cadre d’une coopération croissante avec les pays tiers considérée comme étant d’« importance critique », par exemple dans l’ « Agenda européen sur la migration » de la Commission européenne. Elle est considérée comme la dimension extérieure de l’approche de la « gestion des migrations » par l’UE. En raison de sa position géographique, la Turquie est considérée comme un « partenaire pivot » [48]. La coopération en matière de retour et de réadmission avec les pays tiers est considérée comme l’une des clés pour « endiguer les migrations » et il est suggéré de la mettre en œuvre dans le cadre d’une approche équilibrée entre pressions et incitations.
Gerald Knaus, président fondateur du think tank European Stability Initiative (ESI), est généralement considéré comme l’architecte du Turkey Deal de l’UE. Depuis l’automne 2015, l’ESI, qui a des bureaux à Berlin, Bruxelles et Istanbul, a publié une série de documents dans lesquels un « accord entre l’UE et la Turquie » était proposé afin de « rétablir le contrôle de la frontière extérieure de l’UE tout en s’attaquant simultanément à la vaste crise humanitaire ».
En octobre 2015, la Commission de l’UE a annoncé un premier « plan d’action conjoint » avec la Turquie, qui a été salué par le Conseil de l’UE le même jour comme une étape de la coopération avec les pays tiers. Ce plan annonce des éléments du Deal ultérieur. Par exemple, il prévoyait déjà l’appel à la mise en œuvre des accords de réadmission existants par la Turquie, l’utilisation de la réglementation sur les visas pour la gestion des migrations, l’appel à l’intensification des contrôles aux frontières par la Turquie et le financement de l’UE pour soutenir les installations destinées aux réfugié.es en Turquie (3 milliards d’euros). Le plan a été activé le 29 novembre 2015 lors du sommet UE-Turquie, en même temps que diverses assurances diplomatiques circulant autour de la « redynamisation » du processus d’adhésion de la Turquie à l’UE et du renforcement de la collaboration économique.
En janvier 2016, dans le cadre du plan d’action conjoint, la Turquie a introduit des obligations de visa pour les Syrien.nes se rendant en Turquie par voie aérienne et maritime et a facilité l’accès au marché du travail pour les réfugié.es syrien.nes enregistré.es en Turquie. Elle a commencé à ouvrir la voie au projet promis de 3 milliards d’euros « Installations pour les réfugié.es en Turquie », avec 2 milliards d’euros provenant des États membres et 1 milliard d’euros de financement de l’UE. En ce qui concerne le processus d’adhésion de la Turquie, deux nouvelles pages se sont dessinées.
Comme les arrivées en Grèce sont restées à un niveau élevé quelques mois après l’entrée en vigueur du plan d’action conjoint, en février 2016, la Commission a exhorté la Turquie à mettre en œuvre pleinement et efficacement le plan. L’UE a notamment appelé à la mise en œuvre de l’accord bilatéral de réadmission entre la Turquie et la Grèce ainsi que d’un deuxième accord de réadmission entre l’UE et la Turquie.
« Le temps de la migration clandestine vers l’Europe est terminé », a conclu Donald Tusk, alors président du Conseil européen, après une réunion avec le Premier ministre turc de l’époque, le 7 mars 2016. Il a annoncé que la Turquie acceptait l’augmentation du nombre de retours depuis la Grèce, avec un lien étroit avec la promotion du mécanisme dit 1 pour 1 : l’hypothèse que pour chaque Syrien.ne réadmis.e en Turquie, un.e autre Syrien.ne sera réinstallé dans l’UE. « Avec ce changement de position, notre objectif est en fait de décourager la migration clandestine, d’empêcher les passeur.ses de clandestin.es et d’aider les personnes qui veulent venir en Europe en encourageant la migration légale de manière disciplinée et régulière », a déclaré M. Davutoğlu. Les détails de l’accord, qui prévoit également un financement supplémentaire pour les installations destinées aux réfugié.es syrien.nes en Turquie ainsi que l’accélération déjà prévue des négociations d’adhésion de la Turquie et la suppression des visas pour les citoyen.nes turc.ques, ont été annoncés comme devant être élaborés avant la réunion de mars du Conseil européen[49].
Le 16 mars 2016, la Commission a publié un communiqué au Parlement, au Conseil européen et au Conseil des « prochaines étapes opérationnelles de la coopération UE-Turquie au sujet des migrations ». Les « six principes » de la future coopération étaient joints dans ce communiqué. Le lendemain, un Conseil européen de deux jours a eu lieu au cours duquel les dirigeant.es de l’UE ont rencontré leurs homologues turc.ques et se sont mis d’accord sur l’accord UE-Turquie.
L’accord
L’accord a pour objectif de « casser le modèle économique des passeur.ses et d’offrir aux migrant.es une alternative à la mise en danger de leur vie ». Il reflète le Plan d’action conjoint dans son fondement. L’UE propose de renforcer les liens politiques et économiques ainsi que l’attribution de compensations financières en échange de mesures visant à mettre un terme aux mouvements vers l’Europe et à renvoyer les personnes en quête de protection de la Grèce vers la Turquie. Elle comporte les neuf points suivants :
Retour depuis les îles grecques : En tant que « mesure temporaire et extraordinaire », toutes les personnes qui cherchent une protection en Europe en traversant de la Turquie vers les îles grecques après le 20 mars 2016 seront expulsées vers la Turquie « en pleine conformité avec le droit européen et international ». La référence à une procédure d’enregistrement, d’admissibilité et d’éligibilité ouvre la voie à la procédure accélérée mise en place ultérieurement aux frontières des hotspots de l’UE sur les îles de la mer Égée. L’UE, la Turquie et la Grèce se sont engagées à conclure « tout accord bilatéral nécessaire » afin de faciliter les retours après l’évaluation. Les coûts des opérations de retour seront couverts par l’UE.
Mécanisme 1 pour 1 pour la réinstallation : « Pour chaque Syrien.ne relocalisé.e en Turquie depuis les îles grecques, un.e autre Syrien.ne sera envoyé.e de la Turquie vers l’UE en tenant compte des critères de vulnérabilité des Nations Unies. » Les demandeur.ses de protection qui n’ont pas tenté de rejoindre l’Europe clandestinement seront prioritaires. Pour les États membres de l’UE, il n’y a pas d’engagement supplémentaire en matière de réinstallation, car les demandeur.ses de protection relocalisé.es dans l’UE seront déduit.es du programme de relocalisation de 2015. En cas de besoin supplémentaire, la relocalisation devra se poursuivre sur la base du volontariat. Un maximum est fixé à 72 000 places de relocalisation.
Admission humanitaire volontaire : Après une diminution substantielle des arrivées dans l’UE, l’admission de la Turquie dans les États membres de l’UE est censée se poursuivre sur une base volontaire.
Contrôle des frontières terrestres et maritimes par la Turquie : Il est convenu de renforcer la coopération avec les pays voisins en matière de contrôle des frontières afin d’empêcher l’apparition de nouvelles routes migratoires.
Dispositif pour les réfugié.es en Turquie : L’UE accélèrera la distribution des 3 milliards d’euros alloués et garantira 3 milliards d’euros supplémentaires en faveur des réfugié.es syrien.nes en Turquie jusqu’à fin 2018, une fois la première tranche utilisée.
Sous réserve que toutes les autres conditions soient remplies, l’obligation de visa pour les citoyen.nes turc.ques sera levée au plus tard fin juin 2016. Ceci n’a jamais été réalisé.
L’union douanière entre la Turquie et l’UE sera améliorée.
Pour relancer le processus d’adhésion de la Turquie, l’ouverture du chapitre 33 est prévue dans les six premiers mois de 2016, sur la base d’une proposition présentée par la Commission en avril 2016.
Zones de sécurité en Syrie : Afin d’améliorer les conditions humanitaires en Syrie, l’UE et la Turquie travailleront ensemble « en particulier dans certaines zones proches de la frontière turque qui permettraient à la population locale et aux réfugié.es de vivre dans des zones qui seront plus sûres ».
En plus de ces déclarations, les deux parties s’engagent à surveiller les éléments d’une manière conjointe sur une base mensuelle.
La Turquie, un pays sûr pour les réfugié.es ?
L’entrée en vigueur de l’accord UE-Turquie a apporté des changements au régime d’asile européen en général et au système d’asile grec en particulier. Depuis l’introduction de l’accord, les autorités européennes et grecques se sont orientées vers une augmentation des expulsions vers la Turquie et la « mise en œuvre intégrale de la déclaration UE-Turquie » est devenue un mantra politique durable[50].
La plupart des demandeur.ses de protection qui arrivent en Grèce après l’entrée en vigueur de l’accord devraient être renvoyé.es en Turquie après l’examen de leur demande selon les critères d’admissibilité, compte tenu de l’applicabilité des concepts de « pays tiers sûr » et de « premier pays d’asile ». Alors que la loi grecque sur l’asile a fait l’objet de multiples réformes jusqu’à aujourd’hui, l’accord UE-Turquie en tant que tel n’a pas été transposé dans la loi grecque, la Turquie n’a pas été désignée comme un pays tiers sûr et aucune méthodologie n’a été introduite pour évaluer si la Turquie pouvait être considérée comme un pays sûr dans des cas individuels.
En revanche, la mise en œuvre des retours est facilitée par « une stratégie de lettres non publiques non divulguées, que tous les acteurs impliqués (EASO, le service d’asile grec et les comités d’appel) ont utilisées comme base pour légitimer leur décision de déclarer la Turquie sûre pour tou.tes les Syrien.nes, qui arrivent en Grèce après le 20 mars 2016. » Bien que ces lettres aient été mentionnées dans les dossiers des demandeur.ses d’asile, elles n’ont pas été rendues publiques avant octobre 2016.
Outre les assurances données par la Commission, deux lettres ont été envoyées par des responsables turcs à leurs homologues européen.nes. Ces lettres sont brèves et indiquent l’assurance que les demandeur.ses de protection syrien.nes et non syrien.nes qui avaient un statut de protection en Turquie ou qui ont traversé la mer Égée via la Turquie seront repris par la Turquie et auront accès à un statut de protection conformément au cadre national.
Les documents gouvernementaux étaient accompagnés d’un communiqué de l’Agence des Nations unies pour les réfugié.es (HCR) datée de mai et juin 2016, qui sert également de fondement à l’évaluation de la Turquie comme « pays tiers sûr » en particulier pour les demandeur.ses de protection syrien.nes. Refugee Support Aegean/PRO ASYL souligne que, bien qu’une position claire ne soit pas mentionnée, « la lettre (du HCR) permet clairement d’interpréter la considération de la Turquie comme un « pays tiers sûr » ». Les organisations soulignent l’absence d’évaluation critique des principales déficiences du système de protection turc et la récitation d’assurances diplomatiques sans en évaluer la crédibilité.
En ce qui concerne la capacité du HCR à contrôler la situation des demandeur.ses de protection qui sont rentré.es dans le cadre de l’accord (dans la lettre du 9 juin 2016) : le HCR a admis qu’il ne lui était pas possible de contrôler les conditions de retour du premier groupe de Syrien.nes et qu’il ne pouvait donc pas garantir qu’ils avaient accès à une protection temporaire en Turquie. Cependant, ce n’était pas une raison pour le HCR d’ajouter des informations supplémentaires sur la situation des demandeur.ses de protection en Turquie ou sur leur capacité de suivi.
Ce n’est qu’en décembre 2016, dans une troisième lettre au service d’asile grec, que le HCR a remis en question la conclusion tirée des lettres précédentes. Il a déclaré qu’il y avait un manque d’accès aux demandeur.ses de protection qui sont retourné.es en Turquie dans le cadre de l’accord et que le HCR ne pouvait pas vérifier leur condition et leur statut. Toutefois, ce changement important est arrivé trop tard pour changer l’avis du gouvernement. « Considérant que les preuves présentées dans les lettres initiales du HCR ont été utilisées pour ouvrir la voie aux retours forcés de demandeur.ses d’asile en Turquie dans le cadre de l’accord, le retard de l’Agence à fournir des informations actualisées s’est avéré décisif. »
Dans la principale décision du Conseil d’État (la plus haute juridiction grecque) prise en septembre 2017 et concernant la question de savoir si la Turquie pouvait être considérée comme un « pays tiers sûr » pour les Syrien.nes, la Cour s’est prononcée contre les appels des demandeur.ses de protection syrien.nes et en faveur de l’accord UE-Turquie. Bien qu’au moment de la décision, le régime de protection turc inefficace était encore plus affaibli, aucune réexamination n’a eu lieu. Un appel contre la décision est en cours devant la Cour européenne des droits humains.
Chiffres et état de la situation
L’accord, qui a été introduit comme une mesure temporaire, est toujours en vigueur depuis 5 ans. Son outil le plus important, les expulsions, n’a pas été mis en œuvre depuis la crise politique entre la Grèce et la Turquie en mars 2020. Elle a été suivie de mesures visant à enrayer la pandémie de Covid-19.
Alors que la Turquie et l’UE se sont engagées à suivre les éléments de l’accord de manière mensuelle, le dernier rapport accessible au public de la Commission sur les progrès réalisés dans la mise en œuvre de l’accord date de septembre 2017. Le gouvernement allemand a confirmé en 2019, qu’il n’avait pas de connaissances particulières sur la situation des réfugié.es renvoyé.es dans le cadre de l’accord et renvoyait au cinquième rapport d’avancement de la Commission, daté de mars 2017. De même, le HCR a déclaré qu’il n’avait pas d’accès sécurisé aux personnes renvoyées dans le cadre de l’accord. Le niveau d’information sur la situation des réfugié.es renvoyé.es dans le cadre de l’accord UE-Turquie est donc très faible.
Entre avril 2016 et mars 2020, 2 140 demandeur.ses de protection ont été renvoyé.es de Grèce en Turquie dans le cadre de l’accord, la majorité d’entre eux.elles venant du Pakistan, suivi de la Syrie et de l’Algérie. Alors qu’au cours de la première année de l’accord, 801 demandeur.ses d’asile ont été renvoyé.es, ce nombre n’a cessé de diminuer depuis pour atteindre 195 retours en 2019. Si l’on examine les retours entre mars 2019 et mars 2020, 45 % des demandeur.ses ont été renvoyé.es après une décision en deuxième ou en première instance. 44 % n’étaient plus disposé.es à demander l’asile, ont retiré leur demande d’asile ou n’ont jamais demandé l’asile. Si le premier groupe est directement lié aux changements de procédure impliqués par l’introduction de l’accord, les retours du second groupe peuvent s’expliquer par les conditions de vie, souvent qualifiées d’inhumaines, et le manque de perspective que connaissent les réfugié.es dans les hotspots de l’UE sur les îles grecques. À cet égard, il convient de noter que le nombre de personnes qui acceptent de retourner « volontairement » dans leur pays d’origine avec le soutien de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) est nettement supérieur au nombre de retours effectués dans le cadre de l’accord.
Les déportations s’effectuent par ferry et par avion. Il a été signalé que la plupart des Syrien.nes sont amenés à Adana par avion, tandis que les autres nationalités sont expulsées par ferry vers Dikili. Frontex joue un rôle central dans l’opération des déportations. D’après les observations des chercheur.ses, il s’avère que des compagnies privées de ferries sont sous-traitées par Frontex pour « soutenir les activités opérationnelles des forces de l’ordre » : TurYol, Jalem Tur et Sunrise Lines.
En raison de la pandémie de Covid-19, tous les efforts de relocalisation depuis la Turquie ont été suspendus au printemps 2020. En ce qui concerne le mécanisme « 1 pour 1 » introduit avec l’accord UE-Turquie, 26 135 réfugié.es syrien.nes ont été réinstallé.es jusqu’en mars 2020, la majorité (9 501) en Allemagne. L’accès au mécanisme de relocalisation 1 pour 1 dépend de la région et est limité aux Syrien.nes.[51]
Les contreparties qui avaient été promises à la Turquie en 2016 n’ont jamais été mises en œuvre et semblent bien loin en 2020 : La libéralisation des visas, la mise à niveau de l’Union douanière et la redynamisation de la procédure d’adhésion de la Turquie à l’UE semblent très éloignées.[52] L’accord prévoit également la création d’une zone de sécurité, dont le projet est poursuivi par Erdoğan mais pas encore par l’UE.
Depuis sa mise en œuvre, la Turquie utilise constamment l’accord UE-Turquie comme monnaie d’échange politique et maintient son point de vue, à savoir que l’UE n’a pas tenu ses promesses. La situation s’est aggravée en mars 2020, lorsque la Turquie a annoncé qu’elle ne retiendrait plus les gens de traverser la frontière vers la Grèce. Selon divers rapports, des bus ont même été commandés par le gouvernement turc pour amener les gens à la frontière. Par la suite, la frontière entre les pays voisins a été militarisée davantage par la Grèce et l’UE dans la crainte d’un afflux d’arrivant.es. La décision de la Turquie est intervenue après la mort de 34 soldats turcs à Idlib, en Syrie. Selon les analystes, les intérêts politiques derrière l’ouverture de la frontière par la Turquie étaient doubles. Tout d’abord, l’attention du public a été détournée par la perte militaire et le rejet croissant des migrant.es a été renforcé. De plus, il se dit qu’Erdoğan aurait voulu gagner le soutien de l’UE pour la zone de sécurité en Syrie.
La zone de sécurité
Dans son discours devant l’assemblée générale des Nations unies en septembre 2019, le président Erdoğan a proposé la création d’une zone de sécurité à l’intérieur de la Syrie pour « réinstaller » jusqu’à deux millions de réfugié.es syrien.nes. De telles zones sont également prévues par l’accord UE-Turquie, en tant qu’effort conjoint afin de permettre les retours. L’appel d’Erdoğan est intervenu alors que la Turquie se préparait à mener une offensive à l’intérieur de la Syrie, connue ensuite sous le nom d’opération « Printemps de la paix » et dans le cadre d’une interception et d’une déportation intenses des réfugié.es syrien.nes (voir ci-dessus). En novembre 2019, la Turquie s’est emparée de la zone située entre Tell Abiad et la campagne de Ras al Ain/Sere Kaniye (120 km) en pénétrant d’environ 30 km l’intérieur des territoires syriens. L’opération est intervenue après la montée des sentiments populistes contre les réfugié.es syrien.nes en Turquie et après la défaite de l’AKP lors des élections locales de mars 2019. Cette opération a été critiquée pour sa potentielle illégalité, la déstabilisation accrue de la région et le fait qu’elle pourrait aboutir à une forme de nettoyage ethnique.[53] De plus, les expériences précédentes d’établissement de zones de sécurité dans d’autres parties du monde comme la Bosnie, l’Irak et le Rwanda montrent que de telles zones ne protègent pas les civil.es mais peuvent en plus potentiellement mener à des tragédies.[54] Aujourd’hui, les zones du soi-disant « Printemps de la paix » sont contrôlées par les mandataires syrien.nes de la Turquie et se sont avérées être parmi les zones les moins sûres de Syrie.[55]
Jusqu’à présent, l’opération n’a même pas réussi à relocaliser un petit nombre de réfugié.es dans ces zones.
Dispositifs de l’UE pour les réfugié.es en Turquie
Dans le cadre du plan d’action UE-Turquie et de l’accord UE-Turquie, l’UE s’est engagée à aider la Turquie à hauteur de 6 milliards d’euros au total pour répondre aux besoins des réfugié.es et des communautés d’accueil, notamment dans les domaines de l’aide humanitaire, de l’éducation et des soins de santé. Les fonds sont gérés par le comité de pilotage qui oriente sur les priorités, les mesures prises et les fonds alloués. Le montant global a été distribué en deux tranches, en juillet 2020, 4,7 milliards d’euros ont été contractés et près de 3,7 milliards d’euros ont été déboursés. Le financement était ainsi divisé entre des contributions du budget de l’UE et de ses États membres.
Le Plan d’Aide Sociale d’Urgence (ESSN) est un programme clé d’assistance sociale pour les réfugié.es en Turquie et a été/est financé par le programme. Il s’agit d’un système de carte de paiement qui fournit de l’argent liquide aux réfugié.es vulnérables vivant en dehors des camps de réfugié.es. 18 € sont versés mensuellement par membre de la famille, sur la carte et retirables en espèces. Il cible les familles et les demandeur.ses d’asile vulnérables qui n’ont pas d’emploi officiel. L’ESSN est notamment accessible aux femmes célibataires, aux personnes âgées de plus de 60 ans sans autre adulte dans la famille et aux familles de trois enfants ou plus. Selon les chiffres fournis par la Commission de l’UE, en décembre 2019, 1,7 million de demandeur.ses de protection ont bénéficié du programme. Près de 90 % des bénéficiaires étaient syrien.nes.[56]
Soutien dans le domaine du contrôle des frontières et du retour
Jusque fin 2019, un financement dans le cadre des dispositifs de l’UE pour les réfugié.es en Turquie a été fourni pour les mesures de contrôle des frontières, en particulier dans le domaine du contrôle des frontières, du retour et de la détention. Les garde-côtes turc.ques ont été soutenu.es par des formations et des équipements (six canots de sauvetage). D’autres opérations de retour et des opérations dans les centres de renvoi ont été financées. « Le dispositif a permis de couvrir les frais engagés dans la gestion des retours (transport, hébergement) de 369 Syrien.nes et de 1 605 non-Syrien.nes, ainsi que la construction d’un centre de renvoi pour 750 personnes. (...) Le projet a également financé les salaires de 186 personnes chargées de fournir des services aux migrant.es dans 21 centres de renvoi, notamment des psychologues (24), des travailleur.ses sociaux.ales (17), des interprètes (54), des ingénieur.ses agro-alimentaires (15), des technicien.nes (43) et des chauffeur.ses (33). » Le centre de renvoi qui a bénéficié d’un soutien se trouve dans la province de Çankırı. En mai 2019, 2 500 personnes ont été détenues à l’intérieur du centre d’éloignement financé par l’UE. Selon la Commission européenne, « le financement du centre d’éloignement reste également un élément essentiel de ce soutien, en raison du nombre élevé de réfugié.es qui continuent d’être arrêté.es en Turquie. Ces centres fournissent une assistance humanitaire et des soins aux migrant.es en situation irrégulière (...) ». En octobre 2019, le « Global detention project » (« Projet global de détention ») résume : « De nombreux.ses observateurs.rices ont fait état des conditions horribles dans n’importe quel centre de détention turc, en plus de la surpopulation persistante, du manque de soins médicaux et de l’incapacité à fournir aux détenu.es l’accès à une assistance juridique ». Le rapport révèle en outre que six installations, qui avaient été prévues et initialement soutenues par l’UE en tant que structures d’accueil, ont ensuite été utilisées comme centres d’expulsion/détention. En 2015 déjà, Amnesty International avait fait état de pratiques de détention et d’expulsion illégales et étendues en Turquie. En outre, l’organisation a trouvé des preuves que les centres de détention étaient financés par l’UE[57].
Les ONG et les autres secteurs
Le rôle des organisations non gouvernementales a été particulièrement visible depuis 2011. L’approche ambiguë et incertaine du gouvernement turc à l’égard des réfugié.es[58], du moins entre 2011 et 2015, a engendré le fait que, dans de nombreux domaines, les ONG ont assumé des rôles de coordination, d’assistance humanitaire et surtout[59] d’éducation. Cependant, toutes les ONG ne sont pas sur un pied d’égalité lorsqu’il s’agit d’assumer de tels rôles. Les relations personnelles et de réseau avec le gouvernement sont en un sens déterminantes pour façonner la scène des ONG travaillant sur la migration.[60] Un autre facteur important est l’accès aux fonds internationaux, qui façonnent et conçoivent le travail de base des ONG en Turquie.
Il est difficile de dire quels secteurs ou acteurs.rices économiques profitent de la situation actuelle de la migration (forcée) en Turquie, notamment en raison de l’absence de données pertinentes accessibles. Des politiques spécifiques liées à la migration suggèrent toutefois qu’elles ont pu être façonnées par les intérêts économiques de certains secteurs. Le projet de zone de sécurité, par exemple, dans le cadre duquel le gouvernement turc avait l’intention de renvoyer jusqu’à un million de réfugié.es syrien.nes en Syrie, pourrait avoir profité au secteur de la construction « qui est dominé par les amis du parti [AKP] au pouvoir ».[61] D’autres secteurs, comme le monde universitaire[62] et les ONG[63], ont proliféré de manière excessive en profitant de l’augmentation du profil migratoire de la Turquie. L’abondance de ressources financières à court terme et fragmentées provenant d’organismes internationaux et européens n’a pas nécessairement amélioré la vie des migrant.es, mais plutôt les carrières de ceux.celles qui travaillent dans les secteurs des universités et des ONG.
Depuis la mise en œuvre de l’accord UE-Turquie et après la tentative de coup d’État de 2016, les ONG, les réseaux de solidarité ainsi que les avocat.es des droits humains sont soumis aux décisions autoritaires du président Erdoğan. « La place occupée par la société civile s’est dramatiquement réduite et la répression contre les défenseur.ses des droits humains (DDH) a considérablement augmenté [...]. Les défenseur.ses des droits humains, les journalistes, les travailleur.ses culturel.les, les universitaires et toute personne promouvant et défendant les droits des femmes et des personnes LGBTI+, de la communauté kurde, des minorités religieuses et culturelles et des travailleur.ses subissent diverses formes de représailles, de discrimination et d’attaques, y compris des menaces, des intimidations, la stigmatisation, le harcèlement judiciaire, la détention arbitraire prolongée et les interdictions de voyager. »[64] L’autocensure et la réduction des activités sont des conséquences du climat de peur. Les organisations de défense des droits humains qui défendent les droits des réfugié.es sont très prudentes. Elles s’abstiennent souvent de faire des commentaires ou des rapports critiques et hésitent à voyager dans certaines régions. Cela a un impact négatif sur les personnes qui ont besoin d’aide ainsi que sur la qualité et la diversité des rapports de surveillance en provenance de Turquie. Le niveau d’informations actualisées et de rapports critiques sur les conditions des réfugié.es est très limité. En particulier, les études menées de 2014 à 2016 se concentrent sur la situation des réfugié.es syrien.nes, ce qui affecte la qualité de base d’informations sur la situation d’autres groupes par rapport aux Syrien.nes. Ceci est également visible dans ce rapport.
Statistiques sur la migration
Footnotes
-
As of March 2019, Turkish Ministry of Justice and Home Affairs quoted by German Federal Foreign Office, 14.06 2019.
↩ -
Halil Karaveli, 2018. Why Turkey is Authoritarian: Right-Wing Rule from Atatürk to Erdogan, Pluto Press.
↩ -
Castle, Stephen. 2006. EU freezes talks on Turkey membership.
https://www.independent.co.uk/news/world/europe/eu-freezes-talks-on-turkey-membership-428085.htmlTurkey sees bleak future for EU accession talks in 2012. Today’s Zaman https://web.archive.org/web/20150715025052/; http://www.todayszaman.com/news-267358-turkey-sees-bleak-future-for-eu-accession-talks-in-2012.html; The ins and outs. 2007. The Economist, Special report. https://www.economist.com/special-report/2007/03/17/the-ins-and-outs
↩ -
M. Murat ErdoĞan, Syrische Flüchtlinge in der Türkei, September 2019, p. 17.
↩ -
Tolga Tören, Syrian Refugees in the Turkish Labour Market, July 2018, p.27.
↩ -
Tolga Tören, Syrian Refugees in the Turkish Labour Market, July 2018, p.51.
↩ -
Tolga Tören, Syrian Refugees in the Turkish Labour Market, July 2018, p.27ff.
↩ -
As of 29.05.2020, there are 3.580 million Syrian refugees under Temporary Protection. See: Republic of Turkey Ministry of the Interior Directorate General of Migration Management, Temporary Protection by the date of 29.05.2020, online available: https://bit.ly/2XFLKS8.
↩ -
NOAS, Seeking Asylum in Turkey, p. 10ff., December 2018.
↩ -
In 2020 there have been around 35000 applications by for “international protection/conditional refugee status ». Additionally 200.000 Afghans are considered as “irregular migrants.” See: Irregular Migrants, Directorate General of Migration Management, 2019, online available: https://en.goc.gov.tr/irregular-migration.
↩ -
Erdem Şahin, Aksaray’ın Adı Da Dili de Rengi de Değişti, Haber Turk (blog), 2015; Doğuş Şimşek and Yusuf Sayman, Doğuş Şimşek and Yusuf Sayman on African migrants in Istanbul, Turkey Book Talk, 2019.
↩ -
Mahir Şaul, A Different ‘Kargo’: Sub-Saharan Migrants In Istanbul And African Commerce, Urban Anthropology and Studies of Cultural Systems and World Economic Development 43, no. 1/2/3 (2014): 143–203; Şimşek and Sayman, Doğuş Şimşek and Yusuf Sayman on African migrants in Istanbul.
↩ -
Ahmet Külsoy, Stuck in Istanbul, African Migrants Suffer Mistreatment, Ahval (blog), 2019.
↩ -
Şimşek and Sayman, Doğuş Şimşek and Yusuf Sayman on African migrants in Istanbul.
↩ -
Michael Kaplan, “Going Cold Turkey: African Migrants in Istanbul See Hopes Turn Sour,” The New Humanitarian (blog), 2015; Fatih Polat, “‘Çabuk Çabuk Işinde Çalışıyorum,’” Evrensel, 2018; Külsoy, “Stuck in Istanbul, African Migrants Suffer Mistreatment”; Şimşek and Sayman, Doğuş Şimşek and Yusuf Sayman on African migrants in Istanbul.
↩ -
AIDA, Country Report Turkey: 2019 Update, April 2020, p. 69.
↩ -
AIDA, Country Report Turkey: 2019 Update, April 2020, p.15, 33.
↩ -
AIDA, Country Report Turkey. 2019 Update, April 2020, p. 128.
↩ -
Article 82 LFIP; AIDA, Country Report Turkey: 2019 Update, April 2020, p. 70; 116.
↩ -
Article 33 TPR; AIDA, Country Report Turkey: 2019 Update, April 2020, p. 139.
↩ -
AIDA, Country Report Turkey: 2019 Update, April 2020, p. 18.
↩ -
AIDA, Country Report Turkey: 2019 Update, April 2020, p. 71.
↩ -
Ayhan Kaya, Respond Turkey in ACCORD, Turkey. COI Compilation, August 2020, p. 266f.
↩ -
AIDA, Country Report Turkey: 2019 Update, April 2020, p. 147f.
↩ -
AIDA, Country Report Turkey: 2019 Update, April 2020, p. 75.
↩ -
Amnesty International, Turkey: Halt Illegal Deportation of People To Syria And Ensure Their Safety, 29.04.2020.
↩ -
NOAS, Seeking Asylum in Turkey, 2018, p. 24.
↩ -
AIDA Country Report Turkey: 2019 Update, April 2020, p. 16.
↩ -
AIDA Country Report Turkey: 2019 Update, April 2020, p. 8.
↩ -
AIDA Country Report Turkey: 2019 Update, April 2020, p. 26f.
↩ -
AIDA Country Report Turkey: 2019 Update, April 2020, p. 8.
↩ -
AIDA Country Report Turkey: 2019 Update, April 2020, p. 14, p. 140.
↩ -
Amnesty International, Turkey: Halt Illegal Deportation of People To Syria And Ensure Their Safety, 29.04.2020.
↩ -
Amnesty International. Sent to a War Zone, October 2019, p. 9.
↩ -
Daily Sabah, Influx and deportation of illegal Afghan migrants on the rise, 27.05.2019.
↩ -
AIDA Country Report Turkey: 2019 Update, April 2020, p. 95.
↩ -
AIDA Country Report Turkey: 2019 Update, April 2020, p. 127.
↩ -
Amnesty International (AI), Europe’s Gatekepper: Unlawful Detention and Deportation of Refugees from Turkey, 16.12.2015, online available: https://bit.ly/2UEMmWn; AI, Turkey: Illegal mass returns of Syrian refugees exposes fatal flaws in EU-Turkey Deal, 01.04.2016, online available: https://bit.ly/3hlVcSF; AI, Refugees at heightened risk of refoulement under Turkey’s State of Emergency, 22.09.2017, online available: https://bit.ly/37yqNMf; AI, Turkey: Sent to a War Zone, 25.10.2019, https://bit.ly/3dUVdux.
↩ -
AIDA, Country Report Turkey: 2019 Update, April 2020, p. 25.
↩ -
AIDA, Country Report Turkey: 2019 Update, April 2020, p. 25.
↩ -
AIDA, Country Report Turkey: 2019 Update, April 2020, p. 70
↩ -
Refugee Support Aegean, Alarm over increase of reported push-backs at sea and risks for the lives of those seeking protection, 20.05.2020, online available: https://bit.ly/2Q1Ni48.
↩ -
UNCHR, Mediterranean Situation Update: Greece, online available: https://bit.ly/3055qQN.
↩ -
Deutsche Welle, Greece, Turkey in border dispute after alleged island occupation, 15.05.2020, online available: https://bit.ly/3hE5Jb6. Greek villagers enlisted to catch migrants at Turkey border. https://abcnews.go.com/International/wireStory/greek-villagers-enlisted-catch-migrants-turkey-border-69452257
↩ -
Matthias Monroy, Frontex launches new operations in Greece, 13.03.2020, online available: https://bit.ly/301huT1.
↩ -
Written Answer by Fabrice Leggeri, subject: Question for written answer E-001650/2020: Frontex operations in Greece, 04.05.2020, online available: https://bit.ly/3f22rfV. Within the count of 400 are 71 Frontex-Team-Members who are deployed within the Joint Flexible Operational implemented at the Greek-Turkish, the Greek-North Macedonian and the Greek-Albanian border.
↩ -
UNHCR, Mediterranean Situation: Aegan, 2020, online available: https://bit.ly/2MYJrTS; UNHCR, Syria Regional Refugee Response, 2020, online available: https://bit.ly/3hk6jvj.
↩ -
European Commission, Managing the Refugee Crisis: State of Play of the Implementation of the Priority Actions under the European Agenda on Migration, 2015, online available: https://bit.ly/2OUYK0S.
↩ -
AIDA Country Report Turkey: 2019 Update, April 2020, p. 16.
↩ -
Amnesty International. Sent to a War Zone, October 2019, p. 9.
↩ -
AIDA Country Report Turkey: 2019 Update, April 2020, p. 141.
↩ -
Berkay Mandıracı, Sharing the Burden: Revisiting the EU-Turkey Migration Deal, 13.03.2020, online available: https://bit.ly/2DcfuyG.
↩ -
See Ní Ghráinne, B. 2020. SAFE ZONES AND THE INTERNAL PROTECTION ALTERNATIVE. International and Comparative Law Quarterly, 69(2), 335-364. doi:10.1017/S0020589320000019.
↩ -
Lauren Wolfe, 2017. The safe zones fallacy. https://www.independent.co.uk/news/world/politics/safe-zones-rwanda-syria-bosnia-a7666021.html.
Alan Crosby. 2017, The ‘Very Bad History’ Of Safe Zones. https://www.rferl.org/a/syria-safe-zone-explainer-srebrenica/28468420.html.
↩ -
Syrian Observatory for Human Rights (SOHR), Second blast in a few days. https://www.syriahr.com/en/180405/ ;
Security chaos in “Peace Spring” areas https://www.syriahr.com/en/177110/ ; Explosion in Syrian town on Turkish border kills 13 https://www.euronews.com/2019/11/02/explosion-in-syrian-town-on-turkish-border-kills-13.
↩ -
AIDA, Country Report Turkey: 2019 Update, April 2020, p. 155f.
↩ -
Amnesty International, Europe’s Gatekeeper, December 2015, p. 8f.
↩ -
Fulya Memisoglu and Asli Ilgit, Syrian Refugees in Turkey: Multifaceted Challenges, Diverse Players and Ambiguous Policies, Mediterranean Politics 22, no. 3 (July 3, 2017): 317–38, https://doi.org/10.1080/13629395.2016.1189479.
↩ -
Aslıhan Tezel Mccarthy, Non-State Actors and Education as a Humanitarian Response: Role of Faith-Based Organizations in Education for Syrian Refugees in Turkey, Journal of International Humanitarian Action 2, no. 1 (December 2017): 13, https://doi.org/10.1186/s41018-017-0028-x.
↩ -
Didem Danış and Dilara Nazlı, “A Faithful Alliance Between the Civil Society and the State: Actors and Mechanisms of Accommodating Syrian Refugees in Istanbul,” International Migration 57, no. 2 (April 2019): 143–57, https://doi.org/10.1111/imig.12495.
↩ -
Mustafa Gurbuz, “Confusion in Turkey’s Regional Foreign Policy” (Arab Center Washington DC, 2019), http://arabcenterdc.org/policy_analyses/confusion-in-turkeys-regional-foreign-policy/.
↩ -
Maissam Nimer, “Reflections on the Political Economy in Forced Migration Research from a ‘Global South’ Perspective,” The Sociological Review (blog), 2019, https://bit.ly/2Xdr5o3.
↩ -
Ulas Sunata and Salih Tosun, “Assessing the Civil Society’s Role in Refugee Integration in Turkey: NGO-R as a New Typology” 0, no. 0 (2018), https://sci-hub.se/10.1093/jrs/fey047.
↩ -
Front Line Defenders et al.: The situation of human rights defenders in Turkey, July 2019, online available: https://bit.ly/3gCqJhm.
↩