Djibouti

Publié juillet 6th, 2020 - écrit par: Simone Schlindwein

Petit pays, mais grande importance stratégique

Situé dans la Corne de l’Afrique, Djibouti est un corridor traditionnel entre Afrique et l’Asie. De nos jours, il est le point d’appui militaire le plus important du continent, même pour l’Europe.

Djibouti est l’un des plus petits pays d’Afrique. Situé à l’extrême pointe de la Corne de l’Afrique, son importance stratégique n’en est que plus grande. Bordant le Golfe d’Aden et possédant un immense port, il est considéré comme un pays de transit par excellence. Des personnes migrent depuis des millénaires, en passant par ce détroit, du continent africain vers la péninsule arabique et au-delà vers l’Asie.

Selon des indications de la Police locale, environ 300 migrant.es africain.nes essayent chaque jour de traverser la frontière djiboutienne, la majorité d’entre eux étant Ethiopien.nes. L’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) estime ce nombre à 20.000 par mois et a recensé environ 17.000 migrant.es à Djibouti début 2019 mais, pour ces derniers, l’extrémité de la Corne de l’Afrique n’est en général qu’un couloir de transit.

Avec le prolongement de la guerre civile au Yémen, déclarée officiellement en 2015, on aurait pu penser que ce flux migratoire se tarirait. Mais d’après les données du think tank local Regional Mixed Migration Secretariat (RMMS), qui enregistre des chiffres sur la migration et analyse des sources exclusivement pour la Corne de l’Afrique, l’année 2016 a constitué une année record pour les flux migratoires via le Golfe d’Aden : plus de 120.000 personnes ont rejoint la côte yéménite. 85% des arrivant.es étaient des Ethiopien.nes. 98% d’entre eux appartiennent à l’ethnie des Oromos. D’après Bram Frouws spécialiste de la migration au RMMS, les 2% restants sont des Erythréen.nes et des Somalien.nes. En 2018, au total 99.000 Africain.nes ont effectué la traversée vers le Yémen. En 2019, ils étaient déjà au mois de mai environ 75.000 à avoir effectué la même traversée. Les chiffres augmentent d’année en année, malgré les troubles liés aux conflits. En comparaison, en 2013 ils n’étaient que 65.000.

Les dernières estimations montrent qu’en 2018, environ 3.000 migrant.es sont mort.es noyé.es au cours de la traversée vers le Yémen. La guerre au Yémen rend de surcroît le débarquement sur la côte de ce pays très risquée : en janvier 2019, des miliciens ont ouvert le feu depuis le rivage sur une embarcation de migrant.es, tuant trente personnes. En 2017, une embarcation a été mitraillée depuis un hélicoptère, faisant 130 victimes.

Le Yémen n’est lui aussi qu’un pays de transit pour les migrant.es qui, en général, cherchent du travail dans les riches Etats pétroliers de l’Arabie. On estime que la majorité de ces migrant.es à la recherche d’un travail sont victimes de trafiquants d’êtres humains, qui précisément exploitent une main d’œuvre bon marché pour les Etats du Golfe. Les mauvais traitements subis par les ouvrier.ères africain.nes sur les chantiers de construction en Arabie Saoudite ou par des jeunes gardiennes d’enfants ont été révélés par des organisations internationales de défense des droits humains.

Selon Frouws, une des causes de ces mouvements migratoires effrénés se trouve dans l’insécurité sur les côtes djiboutiennes en raison de la guerre. « Il n’est pas aisé d’expliquer la raison de l’augmentation des chiffres. Jusqu’ici, nous n’avons observé aucun retour suite à la guerre », indique Frouws. Une seule fois, en novembre 2016, l’OIM a sauvé des troubles du conflit plus de 600 migrant.es et les a ramené.es à Djibouti, dans le cadre d’une opération de retours volontaires. L’OIM a installé à Obock un centre de transit pour les migrant.es qui préfèrent retourner dans leur pays plutôt que tenter la traversée vers le Yémen. L’UNHCR et l’OIM portent assistance lors de voyages retour, mais le centre de transit n’a qu’une capacité de 250 places.

Mouvements migratoires de et vers Djibouti

Depuis que le Yémen sombre dans la guerre civile, des Yéménites fuient leur pays en sens inverse, par voie maritime en direction de Djibouti. Selon l’UNHCR, plus de 40.000 Yéménites ont fui vers Djibouti depuis 2015, où ils représentent désormais le groupe d’arrivants le plus important. Selon l’UNHCR, 15.000 d’entre eux ont été installés aux USA au cours des dernières années, 160 Somalien.nes sont rentré.es volontairement dans leur pays.

En comparaison : le nombre d’habitant.es à Djibouti s’élève tout juste à 900.000. Selon des données de la Banque Mondiale, seuls 15.000 Djiboutien.nes vivent hors de leur pays dont la plupart en France, l’ancienne puissance coloniale ; d’autres se trouvent en Ethiopie et une plus faible partie en Algérie et au Canada. Les migrant.es djiboutien.nes n’paraissent quasiment pas dans les statistiques des flux migratoires en Méditerranée vers l’Europe au cours des dernières années : à peine a-t-on recensé, en 2015, 305 demandeur.euses d’asile de Djibouti dans toute l’UE. La moitié de ces demandes a été rejetée et ces demandeur.euses d’asile djiboutien.nes expulsé.es.

En 2018, le mini-pays a proposé sa protection à près de 29.000 réfugié.es, d’après les données de l’UNHCR et de l’ONARS, l’autorité nationale en charge des réfugié.es. Environ 10.000 d’entre eux ont sollicité l’asile, 21.000 vivent dans des camps de réfugié.es, dont les plus grands – Ali-Adeh et Holl Holl – se trouvent près de la frontière somalienne au sud du pays. Les Somalien.nes et les Yéménites obtiennent actuellement de manière systématique le droit d’asile. Les demandes venant d’Ethiopien.nes et d’Erythréen.nes sont examinées individuellement. La plupart des travailleur.euses migrant.es en transit sont hébérgé.es dans les grands centres le long de la côte, dans les villes portuaires d’Obock et de Djibouti-Ville. De nombreux.ses Yéménites vivent aussi là. Ils ne souhaitent pas être enregistrés comme réfugié.es dans les camps, mais s’installent à leurs frais dans les villes.

A Djibouti, une nouvelle loi pour les réfugié.es est entrée en vigueur en 2017. Elle s’appuie sur l’accord-cadre sur les réfugié.es, développé par les Nations unies, qui prévoit l’intégration des réfugié.es dans les systèmes de santé et de scolarité.

Les garde-côtes djiboutiens ont sauvé dans le passé de plus en plus de personnes naufragées en mer. En janvier 2019, deux embarcations pleines de migrant.es ont néanmoins encore sombré en face de la côte, faisant 50 victimes d’après l’OIM, qui s’engage très fortement à Djibouti et a formé les garde-côtes – en particulier sur la façon de traiter les migrant.es. En octobre 2016 a été ouverte solennellement la liaison ferroviaire Djibouti-Ethiopie pour les passagers et les marchandises. Elle doit relier l’intérieur des terres éthiopiennes et la frange côtière à Djibouti, où s’effectuent toutes les opérations d’import-export. Cette liaison longue de 12 heures jouera aussi un rôle, dans le futur, pour les flux migratoires.

Armée et commerce

Aussi petit soit-elle, Djibouti est une base militaire importante pour les forces armées du monde entier sur le continent africain : le commandement américain pour l’Afrique (AFRICOM) y entretient sa seule base militaire sur le continent. La France est présente avec 1.500 militaires, ainsi que le Japon, la Chine, l’Italie et l’Allemagne. Décollages et atterrissages sont rigoureusement cadencés sur l’aéroport militaire très affairé, situé dans la Corne. Les Etats-Unis envoient depuis cette base la majorité de leurs drones en intervention et entretiennent des centres d’écoute pour la lutte contre le terrorisme.

La route commerciale principale entre l’Europe, la péninsule arabique et l’Asie passe par le Golfe d’Aden – elle fait partie en même temps des routes maritimes au monde les plus menacées par la piraterie. Plus de 20.000 cargos et pétroliers traversent le Golfe chaque année. Ils acheminent environ 95% du volume de marchandises entre l’Afrique, l’Asie et l’Europe. Après que des pirates venant de Somalie eurent découvert que ces bateaux pouvaient servir de butin à échanger, il y eut sans cesse plus de détournements et demandes de rançons.

Contre ce phénomène, en 2008, l’Union Européenne (UE) lança la mission Opération Atalanta, première flotte européenne engagée en mer par l’UE. Des bâtiments et aéronefs européens protègent depuis lors les transports du Programme Alimentaire Mondial (PAM), qui livrent en Somalie des cargaisons de vivres pour les réfugié.es et les expulsé.es. De même, les transports d’armes de l’Union Africaine (UA) en Somalie (AMISOM) ont dû être sécurisés contre la piraterie. Depuis 2015, il n’y a plus eu d’attaques de pirates dans le Golfe.

« Les pays membres de l’UE ont, en 2015, sur incitation du gouvernement fédéral allemand, entrepris une vaste vérification stratégique des Missions de l’UE », indique en 2016 la Bundeswehr, l’armée allemande, en réponse à la question de la prorogation de l’Opération Atalanta. Le Service Européen pour l’Action Extérieure aurait rendu son rapport aux pays membres. Lors des discussions subséquentes, les pays membres se seraient accordés pour adapter les forces présentes dans la Corne de l’Afrique aux fluctuations saisonnières de la menace de piraterie, liées au climat (mousson d’été et d’hiver). Pour la Marine allemande, cela signifiait que durant cette prorogation, aucun autre navire ne serait engagé en dehors de la Frégate « Bayern » et du bateau-citerne « Spessart », dans la Corne de l’Afrique. « Ainsi nous tenons compte des besoins accrus en capacités maritimes sur d’autres théâtres (EUNAVFOR MED) ou des engagements inchangés (Soutien de l’OTAN dans la Mer Egée) », explique la Bundeswehr. Enfin, le Bundestag, le parlement allemand, a décidé le 9 mai 2019 la continuation de la participation allemande à Atalanta jusqu’au 31 mai 2020 avec un plafond maximal de 400 soldats.

Coordination de la politique migratoire

En raison de la présence militaire internationale, Djibouti est réputé pour être un point de rencontre majeur des agent.es des services secrets. En 2015, une institution a été placée sur les fonts baptismaux : la Conférence Annuelle des Chefs de tous les services secrets d’Afrique, le HISS. Dans le prolongement du partenariat entre l’agence européenne Frontex et divers services secrets africains, il est question d’établir un quartier général africain ; ici aussi, on parle de Djibouti comme lieu d’implantation.

Djibouti est également un siège important pour les organisations africaines. Elle est le siège principal de l’AIGD, l’Autorité Intergouvernementale pour le Développement, dans laquelle les Etats de la Corne de l’Afrique comme la Somalie et l’Ethiopie mais aussi le Kenya et l’Ouganda sont représentés. Cette alliance a été fondée dans les années 1980 pour s’opposer aux conflits et aux mouvements migratoires à la suite de la sécheresse dans la Corne de l’Afrique. L’AIGD est engagée jusqu’à ce jour dans les négociations de paix au Sud-Soudan et en Somalie.

En 2001, à Djibouti, a également été fondé le secrétariat régional du RMMS (Regional Mixed Migration Secretariat) qui fut créé en tant que « cellule de recherche et de coordination » pour les grands mouvements migratoires régionaux et jusqu’à ce jour financé par des donateur.trices allemands et européens. En novembre 2016, l’AIGD organisa à Kampala, capitale de l’Ouganda, un « Dialogue pour une politique migratoire », au cours duquel les pays membres se sont accordés pour une mise en œuvre accélérée d’un « Plan d’Action Migration ». Le « Comité Régional de Mixed Migration » se réunit aussi régulièrement à Djibouti pour coordonner la coopération des gouvernements de chaque pays en matière migratoire : lors de la rencontre annuelle en 2015, les thèmes principaux étaient la lutte contre le trafic d’êtres humains et l’internement de migrant.es. Les Etats s’efforcent de prendre des mesures supranationales pour combattre les passeurs. Ces sommets sont financés par l’UE.

Coopération avec des ONG et organisations internationales

Pour l’UE, l’AIGD est l’organisation partenaire décisive dans la Corne de l’Afrique, en particulier au travers de ses programmes financés par le fonds fiduciaire d’urgence pour l’Afrique, pour la sécurisation dans le domaine de l’approvisionnement en eau et en nourriture. A travers le Fonds pour le Développement de l’UE (FDE), l’UE a investi 105 millions d’euros dans le pays sur la période 2014-2020, pour soutenir le gouvernement dans l’avancement de son plan national « Vision 2035 », qui doit propulser Djibouti parmi les pays de niveau intermédiaire.

La « Société allemande pour la coopération internationale » (GIZ) a, dans le cadre du projet de l’UE BMM (Better Migration Management), formé à Djibouti plus de 40 ONG de la société civile. L’opération est coordonnée en étroite concertation avec l’UA et l’AIGD. Les aspects centraux sont la protection et le soutien aux migrant.es, principalement les femmes et les mineurs, qui sont souvent les victimes d’attaques violentes et de viols sur la longue route de la migration. L’élaboration de savoir-faire en politique migratoire, juridique et policier dans le cadre de BMM doit endiguer le commerce et les trafics d’êtres humains dans la région. Avec les moyens de BMM, on a pu introduire un système de visa électronique et le logiciel correspondant a été installé à l’aéroport de Djibouti. En avril 2019 a été lancée une plate-forme en ligne sur laquelle les étranger.ères et les touristes peuvent demander leur visa en ligne. Grâce au soutien de BMM, le premier cours supérieur diplômant sur la migration dans la région a démarré en mai 2019. Cette formation a pour objectif de transformer des acteur.trices important.es des pays membres de l’AIGD en expert.es des flux migratoires et de la gestion des frontières.

Avec l’aide de donateur.trices internationaux.ales, dont le gouvernement fédéral allemand le deuxième plus grand camp de réfugié.es à Holl Holl a pu être équipé en 2019 à 100% en énergie renouvelable. Cette électricité gratuite, d’origine solaire, doit aider les réfugié.es à créer des microentreprises, à recharger leurs téléphones et à cuisiner. Jusqu’alors, le camp était alimenté par des générateurs au diesel.

Djibouti est l’un des 26 pays relevant du projet UE-OIM intitulé « Joint Initiative for Migration Protection and Reintegration », grâce auquel des volontaires pour le retour bénéficient depuis 2016 d’un soutien financier provenant du fonds fiduciaire de l’UE pour l’Afrique.

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