Egypte

Publié mars 12th, 2021 - écrit par: Sofian Philip Naceur

Données et caractéristiques principales

Avec 101 millions d’habitant.es, l’Égypte est le pays arabe le plus peuplé (en novembre 2019). En Afrique, il se classe troisième après le Nigeria et l’Éthiopie en termes de population absolue. 95% de la population vit sur seulement 5 % de la surface du territoire. À l’exception du delta du Nil, des régions riveraines du Nil et de quelques oasis, le pays est principalement constitué de déserts arides. Les zones cultivables sont rares. Les constructions d’habitations informelles sur les terres agricoles, la salinisation des régions côtières et le remplissage insuffisant des canaux d’irrigation entraînent également une diminution des terres cultivables. Cela oblige le pays, déjà fortement dépendant des importations alimentaires, à importer davantage de produits agricoles (notamment du blé). Bien que le gouvernement tente de développer les terres agricoles dans le désert depuis les années 1970 en construisant des canaux d’irrigation, ces projets sont restés jusqu’à présent bien en deçà des attentes.

L’Égypte puise 95 % de son eau dans le Nil et souffre d’un manque d’eau flagrant. Alors que les besoins en eau du pays augmentent face à la croissance démographique, l’approvisionnement en eau de l’Égypte est encore plus menacé par la demande croissante des États riverains du sud du Nil et la construction d’un grand barrage en Éthiopie sur les rives supérieures du Nil bleu.

La population de l’Égypte augmente d’environ deux millions de personnes par an. La région métropolitaine du Caire (la plus grande d’Afrique) comprend les provinces du Caire, de Gizeh et de Qaliubeya et compte plus de 28 millions d’habitant.es (en 2020). En raison de l’afflux depuis les régions rurales (surtout de la Haute-Égypte), 500 000 personnes supplémentaires arrivent en ville chaque année. Les cités et les quartiers informels, en particulier dans la périphérie de Gizeh, se développent à un rythme effréné. Souvent, le gouvernement ne raccorde ces quartiers aux réseaux d’électricité, d’eau et d’eaux usées que des années après leur construction. Le réseau de transport local (métro, bus), chroniquement surchargé, ne se développe que très lentement et ne peut plus répondre à la demande depuis des décennies.

Environ 85 % de la population sont des musulman.es sunnites, environ 15 % des chrétien.es coptes orthodoxes (il n’existe pas d’informations adéquates sur la proportion de chrétien.es dans la population totale, les estimations varient entre 10 et 20 %). Il n’existe pas d’informations précises sur la population étrangère vivant dans le pays et seules des estimations approximatives sont disponibles. On estime qu’elle représente environ cinq à huit millions de personnes. Au cours des dernières décennies, deux à quatre millions de personnes ont immigré en Égypte, rien qu’en provenance Soudan.

Économie et gouvernance

Officiellement, l’Égypte est une république présidentielle, mais de facto, c’est un mélange de dictature militaire et d’État policier autoritaire. Après la révolution égyptienne de 2011 et le renversement du dictateur de longue date Hosni Moubarak, le pays a connu une période de réveil politique et une transition démocratique de courte durée. Toutefois, cette évolution a été brusquement interrompue par le coup d’État militaire sanglant perpétré en juillet 2013 contre l’ancien président démocratiquement élu Mohamed Mursi, issu des rangs islamistes des Frères musulmans. Après seulement 30 mois, les libertés politiques telles que la liberté d’expression, de réunion, de la presse, ainsi que les activités des forces d’opposition et de la société civile, ont donc été à nouveau massivement restreintes. Le président Abdel Fattah Al-Sisi (à l’époque encore ministre de la défense), en fonction depuis 2014, a joué un rôle essentiel au nom de l’armée dans la mise en œuvre du coup d’État contre Mursi. Son gouvernement a depuis régi le pays d’une main de fer. L’arbitraire des autorités, les violences policières, la torture, les mauvais traitements systématiques en garde à vue et en prison (entraînant dans certains cas la mort) et les restrictions massives des libertés font à nouveau partie de la vie quotidienne des locaux.ales ainsi que des migrant.es et des réfugié.es depuis l’arrivée au pouvoir d’Al-Sisi.

Sous le régime d’Al-Sisi, le pays s’est stabilisé politiquement, mais le prix à payer est élevé. Il a en effet mis en place un régime dictatorial qui détrône même les presque 30 ans de régime autoritaire de Moubarak. Ces dernières années, l’Égypte a coopéré à plusieurs reprises étroitement avec les régimes chinois et soudanais pour sévir contre les opposant.es des deux pays vivant en Égypte. Dans l’accord de Khartoum, l’appareil de sécurité égyptien a fait pression à plusieurs reprises sur les figures de l’opposition soudanaise et a expulsé des militant.es soudanais.es vers le Soudan. En coordination avec les autorités chinoises, le service de renseignement égyptien a recherché, arrêté et interrogé des étudiant.es ouïghour.es de l’ouest de la Chine et en a déporté certains vers la Chine.

Depuis l’accord de paix avec Israël en 1979, l’Égypte est le deuxième bénéficiaire mondial de l’aide militaire américaine, qui s’élève à 1,5 milliard de dollars par an. Avec cette somme, des équipements et des armes pour l’armée de l’air, des véhicules blindés, des chars, ainsi que des  formations pour les officiers égyptiens sont financés. Depuis 1979, l’Égypte est considérée comme le plus important allié des États-Unis au Moyen-Orient. Le pays entretient des liens étroits avec les allié.es américain.es comme l’Israël, l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis. Sous Al-Sisi, l’Égypte diversifie cependant sa politique étrangère et de sécurité. Elle utilise sa position stratégique (canal de Suez, État de première ligne dans le conflit du Moyen-Orient, puissance militaire dans la mer Rouge, pays de transit pour les migrant.es) pour réduire sa dépendance économique et militaire vis-à-vis des États-Unis et se créer un espace de liberté politique. C’est l’une des raisons pour lesquelles Al-Sisi intensifie massivement ses achats d’armes et d’équipements en Europe et en Russie, coopérant plus étroitement avec Moscou en matière de politique de sécurité et plus étroitement avec la Chine sur les questions économiques. Dans le cadre de son initiative « Belt and Road », la Chine a loué de grandes zones industrielles et portuaires le long du canal de Suez et de la mer Rouge et étend ainsi massivement sa présence économique en Égypte.

Sur le plan économique, le pays souffre d’une faiblesse structurelle flagrante et dépend de l’aide extérieure : programmes de crédit, rentes politiques comme l’aide militaire américaine ou l’aide financière régulièrement fournie par l’Arabie saoudite et d’autres États du Golfe depuis la fin des années 1970 (entre 2013 et 2016, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont transféré environ 30 milliards de dollars américains à l’Égypte). Le Fonds monétaire international (FMI) a également signé plusieurs programmes de prêts importants avec l’Égypte depuis les années 1980. Le plus récent est un programme de prêts conditionnels de 12 milliards de dollars sur trois ans (2016) et deux autres programmes de prêts début 2020 liés à la crise économique causée par la pandémie de Covid 19.

Parallèlement, la situation sociale et socio-économique d’une grande partie de la population est devenue de plus en plus tendue depuis l’aggravation de la crise économique et monétaire en 2016. Alors que les quartiers résidentiels fermés pour les classes moyennes et supérieures sont en expansion constante, en particulier dans l’Est du Caire, les logements abordables pour la population à faible revenu (la majorité) sont rares. Les programmes de logements sociaux de l’État sont massivement en retard par rapport à la demande. 32,5 % de la population vit sous le seuil de pauvreté (en 2019, soit une augmentation de 5 % depuis 2015). Compte tenu du manque d’opportunité au sein de l’économie formelle, plusieurs millions de personnes survivent en tant que travailleur.euses journalier.es dans l’économie informelle égyptienne, qui, selon les estimations, représente environ 50 % de la production économique. Les secteurs de l’éducation et de la santé sont chroniquement sous-financés et, surtout dans les régions rurales, peu ou pas du tout développés.

L’armée égyptienne, quant à elle, est un État dans l’État et une puissance économique à part entière. Selon la constitution, elle n’est pas soumise au contrôle parlementaire et n’est responsable ni devant le président ni devant le gouvernement. Le ministère de la production militaire entretient des dizaines d’usines qui produisent des équipements et des armements ainsi que des biens civils tels que des climatiseurs et de la nourriture. Avant 2011, la part de l’économie militaire dans la production économique de l’Égypte était estimée entre 25 et 40%. Depuis l’arrivée au pouvoir d’Al-Sisi, l’armée a massivement développé ses activités économiques (qui comprennent également des monopoles sur l’importation et l’exportation). Alors que le service de renseignement étranger (General Intelligence Service (GIS)) a racheté et établi un véritable empire médiatique (chaînes de télévision, journaux et sociétés de production), l’appareil de sécurité contrôle le fournisseur de téléphonie mobile We. Cette entité gère des écoles et des universités privées ainsi que des chaînes de supermarchés, des cimenteries, des entreprises de construction et des boulangeries. Celles-ci sont exonérées d’impôts et disposent ainsi d’avantages concurrentiels massifs par rapport aux fournisseurs privés. Les profits de nombreuses entreprises contrôlées par l’appareil de sécurité ne sont pas versés au budget de l’État, mais disparaissent souvent dans des caisses occultes ou dans les poches de hauts fonctionnaires de l’État et de la bureaucratie militaire.

Les mouvements migratoires

L’Égypte est un pays d’immigration, d’émigration et de transit pour les migrant.es. Pour les personnes originaires d’Afrique de l’Est et du Yémen, l’Égypte est un pays de transit ou d’immigration important en raison de sa situation géographique. La population étrangère vivant en Égypte est estimée à plus de cinq millions de personnes (d’autres estimations la chiffrent jusqu’à huit millions). Deux à quatre millions d’entre eux sont originaires du Soudan et du Sud-Soudan. D’autres pays d’origine importants sont la Somalie, l’Érythrée, l’Éthiopie, le Yémen, l’Indonésie, la Chine et la Syrie. De nombreux.ses migrant.es et réfugié.es ont successivement immigré en Égypte au cours de plusieurs décennies. Ils.Elles se sont installé.es dans le pays en raison des possibilités d’emploi dans l’économie informelle et de l’anonymat des grandes villes. L’université Al-Azhar du Caire, la plus importante université théologique sunnite du monde islamique, est un autre pôle d’attraction pour l’immigration. Des théologien.nes du monde entier y sont formé.es.

La Constitution égyptienne de 2014 accorde explicitement le droit de demander l’asile dans le pays, pourtant, il n’existe pas de réglementation légale ou de procédure de reconnaissance correspondante. De facto, le HCR est le seul point d’accueil pour demander un statut de protection, des prestations d’assistance ou un déplacement. En juillet 2019, 249 449 personnes reconnues comme réfugié.es par le HCR vivaient en Égypte. 95 455 d’entre eux.elles sont des enfants. Plus de la moitié d’entre eux.elles sont syrien.nes (131 433 personnes), tandis que 44 260 sont originaires du Soudan (les autres principaux pays d’origine des réfugié.es reconnu.es sont l’Érythrée, le Sud-Soudan, l’Éthiopie, la Somalie et le Yémen). Le bureau du HCR en Égypte souffre d’un manque chronique de personnel, de sorte que les délais d’attente pour l’enregistrement ou les entretiens de détermination du statut de réfugié.e sont généralement de plus d’un an, parfois même de plus de 18 mois. Ce n’est pas la seule raison pour laquelle le HCR en Egypte a été à plusieurs reprises la cible de critiques de la part des personnes concernées et des observateur.trices. Déjà en 2005, des protestations massives de réfugié.es et de demandeur.euses d’asile soudanai.ses eurent lieu contre le processus de demande de reconnaissance et le manque d’assistance du HCR. Un camp de protestation mis en place par plusieurs milliers de personnes a été violemment évacué par les forces de sécurité égyptiennes à la fin de l’année 2005, et au moins 20 personnes ont été tuées. En réponse, le HCR a déplacé son siège du district de Mohandeseen à Gizeh vers la ville satellite « 6 octobre » au milieu du désert. Il y a bien eu plusieurs petites protestations de réfugié.es et de demandeur.euses d’asile contre la mauvaise attitude du HCR entre 2011 et 2013. Mais depuis la prise de pouvoir d’Al-Sisi, de telles formes de protestation ne sont tout simplement plus possibles ou relèvent d’un danger de mort. Néanmoins, en juillet 2019, plusieurs centaines de réfugié.es et de demandeur.euses d’asile érythréen.nes se sont rassemblé.es devant le siège du HCR au Caire pour protester contre le manque de soutien de l’agence des Nations unies et les longs délais d’attente. Les forces de sécurité égyptiennes ont violemment dispersé la manifestation et arrêté entre 40 et 90 manifestant.es. Bien que la plupart d’entre eux.elles aient été libéré.es peu de temps après, cinq personnes sont restées en détention pendant plusieurs jours avant d’être elles aussi libérées.

En novembre 2020, le meurtre d’un enfant soudanais de 14 ans dans le quartier du « 6 octobre » à Gizeh par un Égyptien (prétendument en représailles à un différend financier avec le père de l’enfant) a suscité des protestations parmi les réfugié.es de la région. Les gens se sont rassemblés devant le siège du HCR et la maison de la famille de l’enfant décédé, demandant justice et aide à l’ONU. Les autorités égyptiennes ont violemment réprimé les manifestations, arrêtant au moins 70 personnes. La plupart des personnes arrêtées ayant été libérées peu après leur arrestation. Les dix dernier.es Soudanai.ses détenu.es (dont le père de l’enfant) ont été libéré.es à la fin du mois.

Migration de main-d’œuvre égyptienne et migration irrégulière vers l’Europe

Les envois de fonds des travailleur.euses migrant.es égyptien.nes vivant à l’étranger sont souvent vitaux pour la survie de leur famille et sont également essentiels à l’économie nationale. Selon l’autorité nationale égyptienne des statistiques, environ 9,5 millions d’Égyptien.nes vivaient à l’étranger en 2017, dont 6,2 millions dans les États du Golfe, 1,6 million en Amérique du Nord et du Sud et 1,2 million en Europe. Les envois de fonds ont augmenté massivement depuis l’aggravation de la crise économique en 2016 et s’élevaient à 25,5 milliards de dollars US en 2018 (24,7 milliards de dollars US en 2017). Les transferts, qui sont principalement effectués en devises étrangères, constituent une source de revenus importante pour de larges pans de la population, mais sont également indispensables à l’approvisionnement du pays en devises étrangères. Compte tenu de la situation socio-économique tendue, même certaines parties de la classe moyenne sont maintenant absolument dépendantes des transferts d’argent de leurs proches vivant à l’étranger. L’inflation et la hausse du coût de la vie entraînent une augmentation supplémentaire de l’émigration de travailleur.euses qualifié.es.

Des centaines de milliers d’Égyptien.nes travaillent aujourd’hui en Libye dans le secteur du pétrole et du gaz ou dans le secteur des services (avant 2011, les estimations variaient entre 330 000 et 1,5 million). Depuis le début de la guerre civile libyenne, beaucoup ont été contraint.es de quitter le pays. La migration irrégulière d’Égyptien.nes vers l’Europe, en provenance des côtes libyennes et égyptiennes a augmenté de manière significative depuis plusieurs années. L’aggravation de la situation sociale d’une grande partie de la population égyptienne et la répression croissante du régime à l’encontre des partisans des Frères musulmans, ainsi que des militant.es de gauche et des libéraux.ales, des défenseur.euses des droits humains et des personnalités de l’opposition, contribuent à l’augmentation de l’émigration régulière et irrégulière depuis 2013.

Les migrant.es irrégulier.ères qui quittent les eaux égyptiennes se dirigent presque exclusivement vers l’Italie, en partie parce que le pays n’expulse pas les Égyptien.nes mineur.es. Entre six et huit pour cent des migrant.es clandestin.es arrivant en Italie sont Égyptien.nes depuis des années, la majorité d’entre eux étant des mineur.es. En raison de la distance importante entre l’Égypte et l’Italie, les personnes qui traversent irrégulièrement la Méditerranée par bateau ont été obligées de faire appel à des passeur.euses, car ils.elles utilisent des bateaux plus grands pour les traversées irrégulières. Contrairement à l’Algérie et à la Tunisie, les tentatives de traversée auto-organisées à partir des côtes égyptiennes sont des exceptions. Jusqu’en 2016, des passeur.euses bien organisé.es opéraient principalement dans les provinces côtières de Marsa Matrouh, Alexandrie, Beheira et Kafr El-Sheikh et entretenaient de bons contacts avec les forces de sécurité égyptiennes pour s’assurer, grâce à des pots-de-vin, que les départs pouvaient se dérouler sans encombre.

À l’automne 2016, un bateau de pêche fortement surchargé a chaviré près de la petite ville de Rashid, à l’est d’Alexandrie. Au moins 202 personnes sont mortes, mais on suppose qu’il y a eu plus de 300 victimes. Immédiatement après ce naufrage, les autorités égyptiennes ont intensifié les contrôles sur les plages et en mer et ont, depuis lors, considérablement restreint les tentatives de traversée irrégulière de la mer. La coopération entre l’UE et l’Égypte en matière de politique migratoire s’est depuis également considérablement intensifiée. Après la catastrophe de Rachid, le régime d’Al-Sisi a montré qu’il était capable et désireux de fermer les frontières côtières du pays aux migrations clandestines. En conséquence, seuls quelques bateaux transportant des migrant.es ont pris la mer depuis 2017. Ils sont interceptés presque sans exception. Les routes migratoires se sont détournées vers la Libye et les passeur.euses qui opéraient auparavant dans les provinces méditerranéennes de l’Égypte se concentrent maintenant sur le transport de personnes à travers la frontière terrestre vers la Libye. Au cours des dernières années, les autorités de sécurité égyptiennes ont arrêté à plusieurs reprises des migrant.es égyptien.nes et étranger.es qui tentaient d’entrer clandestinement en Libye. On suppose néanmoins que les agent.es de sécurité indépendant.es continuent à tirer profit financièrement de l’activité de contrebande vers la Libye.

Égypte : Pays de transit pour la migration depuis l’Afrique de l’Est

L’Égypte reste un pays de transit et d’immigration inévitable pour les réfugié.es d’Afrique de l’Est, en particulier ceux.celles de Somalie, d’Érythrée, d’Éthiopie, du Soudan et du Sud-Soudan, ainsi que du Yémen. La taille même des zones métropolitaines du Caire et d’Alexandrie permet aux migrant.es de passer dans la clandestinité et de chercher du travail dans l’économie informelle. Cependant, pour les immigré.es sans permis de séjour, ce travail est généralement mal payé et associé à des conditions de travail précaires. Le racisme et la xénophobie sont très répandus dans la société égyptienne. Ainsi, les attaques violentes, les insultes et l’exploitation, en particulier des femmes, sont monnaie courante (sans permis de séjour, les immigrant.es ne peuvent pas se tourner vers les autorités pour porter plainte sans risquer d’être arrêté.es, voire expulsé.es). Pour ces raisons, la situation quotidienne des migrant.es vivant dans le pays est souvent catastrophique.

L’Égypte viole systématiquement ses obligations au titre de la Convention de Genève, bien que le pays l’ait signée. L’État a externalisé les procédures de reconnaissance des demandes d’asile au HCR et a jusqu’à présent toujours refusé d’introduire ses propres procédures de reconnaissance. Les seuls points d’accueil pour les réfugié.es sont les organisations d’aide, mais leurs capacités sont très limitées. Les réfugié.es et les migrant.es sont constamment contraint.es à l’illégalité par les autorités égyptiennes, car l’État ne délivre que rarement des permis de séjour ou des permis de travail. L’aide apportée par l’une des nombreuses organisations d’aide sous forme de services de santé ou d’éducation est souvent liée à l’enregistrement auprès du HCR. En raison du manque chronique de personnel dans les bureaux du HCR en Égypte, les délais d’attente pour les rendez-vous sont si longs que les personnes sont parfois laissées à elles-mêmes pendant des mois, voire des années. La carte jaune, le document identifiant les personnes comme réfugié.es ou demandeur.es d’asile enregistrés auprès des Nations unies, a longtemps servi de forme de protection juridique contre l’expulsion, mais en réalité, les autorités égyptiennes traitent actuellement les documents officiels du HCR avec peu de respect. Des réfugié.es reconnu.es ont été expulsé.es vers le Soudan, l’Éthiopie et l’Érythrée. De même, des Syrien.nes ont été expulsés vers le Soudan et le Liban.

Dans le passé, les réfugié.es arrêté.es alors qu’ils.elles tentaient de quitter le pays de manière irrégulière n’étaient pas poursuivi.es pour des infractions pénales. Après avoir passé quelques jours ou semaines en détention, ils.elles étaient généralement présenté.es devant le procureur, mais aucune accusation n’était portée contre eux.elles. Après avoir été contrôlé.es par les organes de sécurité, ils.elles étaient généralement libéré.es ou expulsé.es. Plus récemment, cependant, les personnes arrêtées à la frontière libyenne ont fait l’objet de poursuites pénales. Ces accusations se fondent sur l’interdiction légale de quitter le pays ou d’y entrer sans passer par les points de passage officiels de la frontière. Les jugements ne sont que rarement rendus. Les tribunaux laissent généralement aux organismes de sécurité le soin de libérer ou d’expulser les migrant.es détenu.es à leur gré. Les expulsions sont généralement appelées « retours volontaires ». Le Service de la sécurité intérieure, le service de renseignement national égyptien et la police politique du régime d’Al Sisi (anciennement connu sous le nom de Service d’enquête de la sécurité de l’État), déclarent généralement aux migrant.es détenu.es qu’ils.elles n’ont aucune chance d’être libéré.es, mais qu’ils.elles ont le choix de quitter volontairement le pays. Les personnes concernées par une mesure d’expulsion doivent payer elles-mêmes le billet d’avion. Ceux.celles qui ne peuvent pas réunir assez d’argent pour acheter un billet restent détenu.es indéfiniment. Deux Érythréens détenus en Égypte depuis 2012 et 2013 respectivement ont entamé une grève de la faim contre leur détention prolongée en novembre 2020, mais n’ont pas été libérés depuis. Depuis des années, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) aide à l’expulsion de personnes d’Égypte (en particulier vers l’Afrique occidentale et centrale) vers leur pays d’origine, un processus officiellement qualifié de « retour volontaire ». L’OIM aide également au retour des Égyptien.nes qui doivent quitter l’Europe et retourner en Égypte.[1]

Jusqu’à l’accident de bateau de Rachid, au moins 32 centres de détention étaient utilisés pour incarcérer les migrant.es dans les seules provinces côtières d’Égypte. La plupart de ces centres de détention étaient des commissariats de police ayant une capacité d’accueil limitée. À l’échelle nationale, on estime que jusqu’à 60 centres de détention (y compris des postes de police et des prisons) sont aujourd’hui utilisés pour les migrant.es, notamment les postes de police d’Assouan en Haute Egypte et d’Hurghada dans le gouvernorat de la mer Rouge. Les conditions de détention sont pour la plupart catastrophiques. Les cellules surpeuplées sont courantes. En raison d’une mauvaise ventilation, de conditions d’hygiène dévastatrices et d’un approvisionnement insuffisant en nourriture et en médicaments, les maladies respiratoires et la gale sont fréquentes. Des tentatives de suicide ont été signalées. Depuis que les garde-côtes ont commencé à prévenir systématiquement les départs d’Égypte en 2016, les migrant.es détenu.es sont de plus en plus réparti.es dans les prisons du pays. On ne dispose pas d’informations exactes sur le nombre de migrant.es détenu.es, en partie parce que les défenseur.euses des droits humains et les avocat.es égyptien.nes qui ont apporté leur aide aux réfugié.es dans le passé sont désormais eux.elles-mêmes la cible des autorités. Par conséquent, on ne dispose que d’informations très limitées sur les conditions dans les centres de détention égyptiens (y compris sur le nombre de personnes détenues). Rien qu’en 2016, plus de 12 000 réfugié.es auraient été détenu.es en Égypte, dont plus de 4 000 ont été arrêté.es dans les provinces côtières après avoir tenté en vain de traverser la mer (soit une augmentation de 85 % par rapport à l’année précédente).

Le recours systématique à la force par les forces de sécurité égyptiennes contre les réfugié.es a considérablement diminué depuis 2011. Cependant, les réfugié.es et les migrant.es détenu.es sont toujours soumis aux pratiques arbitraires des organes de sécurité. Entre 2007 et 2011, au moins 107 migrant.es ont été abattu.es par des soldats égyptiens alors qu’ils.elles tentaient de traverser la frontière israélo-égyptienne. Depuis la réalisation de la barrière de 200 kilomètres à la frontière israélo-égyptienne en 2014, la route migratoire vers Israël est presque complètement bloquée et n’a pratiquement pas été utilisée depuis des années. Avant 2011, plusieurs cas de tir de garde-côtes à balles réelles sur des bateaux de réfugié.es en Méditerranée ont été rapportés.

Projets de l’UE en Égypte et mesures de protection des frontières égyptiennes

L’Égypte est l’un des partenaires stratégiques les plus importants de l’Europe dans la prévention de l’immigration clandestine et dans l’externalisation du régime frontalier européen vers l’Afrique. Afin de faire progresser efficacement la fermeture des frontières en Méditerranée, l’UE et ses États membres s’appuient sur la coopération avec le régime autoritaire d’Al-Sisi, en raison de la situation géographique de l’Égypte et de l’importance du pays en tant que point de transit pour les réfugié.es d’Afrique de l’Est. La guerre en Libye, qui s’est à nouveau intensifiée depuis la fin de 2019, et les manifestations de masse en Algérie depuis février 2019 (qui pourraient déstabiliser le pays à moyen terme), rendent pour l’UE une coopération étroite avec l’Égypte inévitable, afin d’installer un régime frontalier efficace en Afrique du Nord. L’appareil de sécurité égyptien est capable et désireux de restreindre considérablement la perméabilité de ses frontières et constitue donc un partenaire irremplaçable pour l’UE, soutenant les politiques européennes répressives de contrôle des frontières dans la région (du moins pour le moment). La stabilisation de la sécurité et de la situation macroéconomique de l’Égypte doit être comprise dans le contexte d’une situation sociale catastrophique et conflictuelle et du potentiel migratoire massif de segments largement appauvris de la société égyptienne. Du point de vue de l’UE, il faut donc éviter à tout prix l’effondrement de l’État égyptien.

Pour ces mêmes raisons, l’Égypte est « trop grande pour échouer ». L’enveloppe de 12 milliards de dollars de prêts du FMI convenue en 2016, ainsi que les nombreux accords de prêts bilatéraux entre les gouvernements européens et l’Égypte visent à stabiliser le pays sur le plan macroéconomique, tandis que les projets d’aide au développement mis en œuvre par, entre autres, des organisations allemandes et italiennes ont pour but d’atténuer les conséquences sociales des programmes d’ajustement structurel imposés par le FMI. L’Égypte a réussi à externaliser vers les pays de l’UE une partie de ses dépenses sociales destinées aux segments à faible revenu de la société égyptienne. Le régime d’Al-Sisi a compris très tôt que l’UE comptait sur l’aide du Caire pour maintenir un régime de contrôle des frontières fonctionnel en Méditerranée. Il a exploité avec succès la dépendance de l’Europe à l’égard de l’implication de l’Égypte dans le régime frontalier de la région pendant des années afin de restaurer sa réputation internationale après le coup d’État militaire sanglant de l’armée en juillet 2013.

Les critiques des gouvernements européens concernant les violations systématiques des droits humains par l’État égyptien continuent d’exister, mais ont été beaucoup plus modérées depuis 2015. Au niveau de l’UE, la Commission européenne est réticente à critiquer vigoureusement le bilan de l’Égypte en matière de droits humains, tandis que le Parlement européen, moins influent, a adopté à plusieurs reprises des résolutions, parfois sévères, sur les violations des droits humains par les autorités égyptiennes. En octobre 2019, la chambre a adopté une résolution très claire sur la vague d’arrestations de manifestant.es, de militant.es des droits humains et de personnalités de l’opposition qui avait commencé un peu plus tôt (en trois semaines, environ 4 300 personnes avaient été arrêtées et, dans certains cas, torturées en garde à vue). Elle a demandé un « réexamen approfondi et complet » des relations de l’UE avec l’Égypte. Toutefois, cet appel est resté sans conséquences politiques significatives. La coopération de l’UE avec l’Égypte a même été progressivement étendue malgré la nouvelle détérioration de la situation des droits humains dans le pays.

La coopération euro-égyptienne dans ce domaine n’est pas nouvelle. L’accord d’association entre l’UE et l’Égypte, entré en vigueur en 2004, s’attaque explicitement à l’immigration « clandestine ». Il prévoit une diminution de la pression migratoire grâce à l’amélioration des conditions de vie des personnes vivant en Égypte, ainsi que la « prévention » et le « contrôle » de l’immigration « clandestine ». Les deux parties se sont engagées à l’époque à reprendre les citoyens tenus de quitter le pays concerné. En 2007, le gouvernement italien est devenu le seul État membre de l’UE à signer un accord bilatéral de réadmission avec l’Égypte et il l’utilise régulièrement depuis l’entrée en vigueur de cet accord en 2008.

Coopération euro-égyptienne en matière de migration

Depuis 2015, l’UE et les États membres de l’UE ont intensifié leur coopération avec l’Égypte en matière de migration et de politiques de contrôle des frontières.Outre la coopération au niveau de l’UE (en partie dans le cadre du dialogue sur les migrations entre l’UE et l’Égypte lancé en 2017), de nombreux pays de l’UE mènent des projets bilatéraux complémentaires en Égypte. Ceux-ci sont en partie financés par les gouvernements européens, et également par le Fonds fiduciaire d’urgence de l’UE pour l’Afrique (EUTF), créé en 2015. Le budget prévu pour des projets dans des dizaines de pays africains a désormais atteint un total de 4,6 milliards d’euros (en novembre 2019). Outre le renforcement des capacités des autorités égyptiennes à gérer et contrôler les migrations, le volet « Égypte » d’un projet EUTF comprend également la lutte contre le trafic d’êtres humains, des programmes de protection des migrant.es vivant en Égypte et le soutien aux communautés d’accueil de réfugié.es dans tout le pays.

Jusqu’à présent, un seul programme consacré exclusivement à l’Égypte a été lancé sous l’égide du Fond fiduciaire d’urgence (EUTF). Le projet ERMCE, « Enhancing the Response to Migration Challenges in Egypt » (Renforcer la réponse aux défis migratoires en Égypte), doté de 60 millions d’euros et lancé en 2017, vise à améliorer les capacités des autorités égyptiennes à gérer les migrations, à combattre les causes profondes des migrations et à soutenir les communautés d’accueil dans le pays. Les organismes chargés de la mise en œuvre des différents volets du projet sont notamment l’agence publique allemande de développement GIZ, l’organisation italienne d’aide au développement AICS, la Croix-Rouge allemande et Plan International. L’ERMCE finance notamment la coopération avec le Conseil national égyptien pour les femmes et un programme de promotion de l’emploi des jeunes à Assiut et à Sohag en Haute Égypte (ces deux provinces sont d’importantes régions d’origine pour les migrant.es en situation irrégulière).

Le partenaire central d’ERMCE du côté égyptien est le NCCPIM-TIP, « National Coordinating Committee for Preventing and Combating Illegal Migration and Human Trafficking » (Comité national de coordination pour la prévention et la lutte contre la migration illégale et la traite des êtres humains), qui a été créé en 2016 et qui est une autorité de coordination au sein du ministère des affaires étrangères. Cette organisation sert d’interface entre les ministères, les autorités égyptiennes et les partenaires et donateur.trices internationaux.ales. Parmi les mesures mises en œuvre ou prévues par le NCCPIM-TIP figurent des campagnes de sensibilisation visant à prévenir des dangers des départs irréguliers (le public visé est celui des jeunes qui espèrent quitter le pays), de la collecte de données sur les régions d’origine et les profils des migrant.es irrégulier.es. Le public est également informé des mesures de formation continue pour les fonctionnaires égyptien.nes. Le comité a organisé en 2016 un atelier destiné aux fonctionnaires des gouvernements de huit pays africains sur des sujets tels que la migration « clandestine » et la traite des êtres humains, auquel ont également participé des personnes des gouvernements d’Érythrée, d’Éthiopie et du Sud-Soudan. Le NCCPIM-TIP a également rédigé un plan stratégique décennal de lutte contre la migration « clandestine » et a été un acteur clé dans l’élaboration de la loi de 2016 sur la lutte contre la migration « clandestine ».

L’Égypte participe également à plusieurs projets régionaux financés par l’EUTF. Le projet BMM, « Better Migration Management II » (Meilleure Gestion de la Migration II) vise à étendre la coopération nationale et transfrontalière entre les appareils de sécurité et judiciaire et les acteurs étatiques et non étatiques en Afrique du Nord et de l’Est. Le programme est axé sur la limitation des migrations en provenance d’Afrique de l’Est. Près de la moitié de tous les fonds engagés dans le projet sont destinés au soutien opérationnel et au conseil aux autorités locales. Il s’agit notamment de mesures de soutien en matière d’équipement et de formation au profit des enquêteur.rices, des procureur.es et des juges. On ignore si les patrouilles frontalières conjointes à la frontière entre le Soudan et l’Égypte, convenues par les deux pays en novembre 2018, ont également été promues dans le cadre du programme BMM, mais cette mesure s’inscrit parfaitement dans les objectifs du projet. Dix millions d’euros supplémentaires ont été alloués à un programme visant à protéger et à réintégrer les migrant.es (par le biais d’un soutien au « retour volontaire » et à la réintégration des personnes déportées). L’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) mène actuellement un projet de lutte contre les réseaux criminels en Égypte, en Tunisie et en Algérie. Il fournira également des équipements et une aide à la formation. En outre, en collaboration avec le NCCPIM-TIP, l’UNODC organise depuis 2018 des ateliers pour les juges égyptien.nes sur des sujets tels que la migration et le trafic d’êtres humains. Alors que l’OIM propose également des ateliers et des mesures de formation pour les fonctionnaires égyptien.nes, l’appareil de sécurité égyptien bénéficie du projet très controversé de l’UE « Euromed Police IV » et du projet ROCK (Centre opérationnel régional de Khartoum en soutien au processus de Khartoum et à l’initiative de l’UA pour la Corne de l’Afrique), menés dans le cadre du processus de Khartoum. Ce projet régional, mis en œuvre en complément du BMM et organisé par le Civipol français, est promu en coopération avec INTERPOL et l’Union Africaine. Il vise à améliorer la coordination et la coopération entre les pays d’Afrique du Nord et de l’Est. L’Égypte a également récemment intensifié sa coopération avec l’agence européenne de contrôle des frontières Frontex, qui procède à l’expulsion d’Égyptien.nes d’Allemagne depuis 2017 (à ce jour, toutefois, seuls deux vols d’expulsion opérés par Frontex sont connus).

Coopération bilatérale en matière de sécurité avec l’Égypte

Les projets de sécurité bilatéraux avec l’appareil de sécurité égyptien constituent un élément clé de la politique européenne de contrôle des migrations et de la coopération avec l’Égypte. Ces projets portent notamment sur les exportations d’armes et d’armements ainsi que sur l’aide à l’équipement et à la formation des autorités de police. L’Allemagne, l’Italie et la France jouent un rôle clé à cet égard. La France s’appuie principalement sur des livraisons d’équipements à l’armée égyptienne et aux forces centrales de sécurité spécialement créées pour le contrôle des foules et la répression des manifestations. Depuis 2014, des entreprises françaises ont fourni aux organes de sécurité égyptiens un porte-hélicoptères Mistral, deux frégates FREMM, quatre corvettes GOWIND (deux des bateaux ont été assemblés dans un chantier naval à Alexandrie, sous licence du producteur d’armes français Naval Group), 24 avions de chasse Rafale (Dassault), des missiles, des centaines de véhicules blindés (Renault Trucks Defense a livré ces véhicules entre 2012 et 2014) et des logiciels d’espionnage (Amesys). L’Égypte a commandé quatre sous-marins en Allemagne, (dont trois ont déjà été livrés, en novembre 2019), deux frégates MEKO-200 (ThyssenKrupp Marine Systems) et des missiles (Diehl Defense). Le Royaume-Uni, la Grèce, Chypre et la France ont également pris part à plusieurs manœuvres militaires avec la marine égyptienne en Méditerranée.

Pendant ce temps, l’Allemagne et l’Italie organisent des formations pour la police et fournissent du matériel aux autorités égyptiennes, en partie dans le cadre d’accords de sécurité bilatéraux. L’accord sur la police signé par l’Italie et l’Égypte en 2000 est entré en vigueur en 2002. Depuis 2004, des programmes de formation pour les forces de sécurité égyptiennes ont été menés dans différentes écoles de police italiennes. Depuis 2011, une moyenne de dix mesures de formation pour les forces de sécurité égyptiennes ont eu lieu chaque année. En 2007, l’Italie a remis deux patrouilleurs à l’Égypte, tandis que des entreprises italiennes ont vendu des munitions et des armes légères (Beretta) à l’Égypte. La société italienne Iveco est l’un des plus importants fournisseurs des forces de sécurité centrales et leur fournit depuis des années des véhicules de transport de troupes, qui jouent un rôle clé dans la répression des manifestations.

Ce n’est qu’en 2017 que l’Italie et l’Égypte ont signé un accord de coopération « technique » d’une valeur de 1,8 million d’euros, dont l’élément essentiel est la création d’un centre de formation de la police pour les programmes de formation relatifs au contrôle des migrations au sein de l’Académie de police gouvernementale du Caire. Les autorités policières italiennes ont l’intention de former dans ce centre au moins 360 fonctionnaires de 22 pays africains (Algérie, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Erythrée, Ethiopie, Gambie, Djibouti, Ghana, Guinée, Kenya, Libye, Mali, Maroc, Niger, Nigeria, Sénégal, Somalie, Soudan, Soudan du Sud, Tchad et Tunisie). En décembre 2019, l’accord de coopération italo-égyptien, qui sert de base au projet de formation, a été prolongé de deux ans et doit maintenant se poursuivre jusqu’en 2021. Dans le cadre d’un projet pilote réalisé en 2018, des sujets tels que le contrôle des frontières, les procédures de retour et l’identification des faux documents d’identité ont été mis à l’ordre du jour de ce projet. L’accord prévoit également la création d’un groupe d’expert.es égypto-italien.nes sur la migration et la livraison d’équipements à l’Égypte.

L’Allemagne intensifie également massivement sa coopération policière avec l’Égypte depuis 2014. En juin 2016, après deux ans de négociations, les ministres de l’intérieur des deux pays ont signé un accord de sécurité qui couvre la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et l’immigration « clandestine », ainsi que la gestion des catastrophes naturelles et le maintien de l’ordre lors d’événements publics de masse comme les matchs de football. Une coopération entre l’Académie fédérale de police allemande et l’Académie de police du Caire est également prévue et comprend des conférences et des formations. En 2015, les autorités policières allemandes ont mené des actions de formation initiale et de perfectionnement pour le ministère de l’intérieur égyptien. Du côté allemand, la police fédérale et l’Office fédéral de police criminelle (BKA) sont impliqué.es. Du côté égyptien, les principaux partenaires de cet accord sont le ministère de l’intérieur, la police des frontières et les services de renseignement SIG et NSS (State Security Service ou Homeland Security).

Depuis lors, la police fédérale allemande a organisé d’innombrables ateliers, visites de travail et formations. Elle a également entrepris des mesures d’évaluation dans les domaines de la protection des frontières, de la sécurité des documents et des certificats, ainsi que de la sécurité aérienne et aéroportuaire dans les aéroports égyptiens et allemands. Ces projets sont principalement axés sur la lutte contre le trafic d’êtres humains et l’identification des faux documents d’identité. Le BKA a déployé un agent de liaison à l’ambassade allemande au Caire et a formé des agent.es du service de renseignement national égyptien NSS dans le cadre du programme de bourses du BKA. L’Allemagne fournit également à l’Égypte des équipements tels que des lecteurs de cartes d’identité mobiles dans le cadre de l’accord. Fin 2017, le BKA a annulé un atelier pour le ministère de l’Intérieur égyptien sur le thème de la surveillance des sites web à contenu extrémiste. La raison officielle de l’annulation de l’atelier était le risque que « certaines des connaissances et compétences enseignées dans le cadre de ce cours pourraient ne pas être utilisées seulement pour persécuter des terroristes, mais aussi éventuellement pour persécuter d’autres groupes de personnes ». Jusqu’à présent, cependant, c’est le seul cas dans lequel le gouvernement allemand a annulé un projet de formation de la police destiné aux autorités égyptiennes. Dans l’ensemble, Berlin a jusqu’à présent respecté ses engagements en matière de sécurité avec l’Égypte. Plusieurs formations prévues pour 2020 ont été reportées en raison de la pandémie de Covid-19.

La coopération dans le cadre du développement pour atténuer le déséquilibre social

Compte tenu des inégalités sociales extrêmes et de l’immense taille de la population égyptienne, l’Égypte est considérée comme une « poudrière ». Le potentiel migratoire de la société égyptienne est énorme. En conséquence, l’UE et ses États membres ont accompagné leur politique de sécurité et de contrôle des migrations et leur coopération avec l’Égypte depuis 2015 en développant considérablement leurs programmes d’aide au développement dans le pays afin d’atténuer les conséquences sociales des programmes d’ajustement structurel imposés par le FMI, de lutter contre les causes de la migration clandestine et de soutenir les communautés d’accueil des réfugié.es vivant en Égypte. L’Allemagne et l’Italie, en particulier, ont depuis lors massivement développé leur coopération bilatérale au développement en Égypte et l’associent de plus en plus à leur politique étrangère et de sécurité.

L’agence italienne de développement AICS est également active en Égypte, notamment dans les domaines de la promotion de la question des femmes et de l’intégration de la dimension du genre, mais aussi dans des projets environnementaux. Dans le cadre d’un programme d’échange de dettes lancé en 2012 et récemment élargi, l’AICS a mis en place des programmes de formations professionnelles pour les enfants des rues et les jeunes mères du Grand Caire. Selon l’AICS, 25 000 personnes auront bénéficié de ce projet en trois ans. Ce projet comprend également des services liés à la santé. Des projets visant à améliorer les conditions de travail et l’efficacité dans l’agriculture ont été menés à Beheira et Damietta. À Assiut, en Haute Égypte, l’organisation a investi dans des projets d’autonomisation des jeunes et des femmes, de promotion de l’emploi et de campagnes de sensibilisation aux questions de santé et d’environnement. L’objectif explicite du programme est de prévenir la migration irrégulière dans les régions d’origine importantes pour les migrant.es irrégulier.ères.

Un autre acteur important dans le domaine de la coopération au développement en Égypte est l’agence de développement allemande GIZ, qui gère au Caire l’un de ses plus grands bureaux dans le monde. Fin 2018, l’organisation employait 267 employé.es nationaux.ales et 44 employé.es internationaux.ales, trois « spécialistes intégré.es » et six collaborateur.trices. La coopération se concentre sur la promotion de l’emploi des jeunes et des femmes, la gestion de la diversité des sexes dans les entreprises, la promotion des programmes de formation à l’artisanat et des projets dans les domaines de l’approvisionnement en eau, de la gestion des eaux usées et de la gestion des déchets.

Quel est le rôle des ( de quelles ) ONG ?

Les réfugié.es et les migrant.es vivant en Égypte dépendent du soutien des organisations d’aide privées et non gouvernementales, car l’Égypte (malgré ses obligations internationales) continue de refuser d’introduire des procédures de reconnaissance du droit d’asile et de fournir des services d’aide, même aux réfugié.es reconnu.es par le HCR. Les points d’échanges les plus importants pour les réfugié.es en Égypte sont donc les organisations religieuses et les petites ONG qui sont nées d’initiatives auto-organisées, travaillant pour la plupart au Caire ou à Alexandrie. Le Service des réfugié.es de Saint-André, qui est actif en Égypte depuis 1979, est l’une des plus importantes organisations opérant légalement dans le pays depuis des années. Il défend les besoins des réfugié.es et propose des cours d’anglais, des conseils juridiques et une assistance médicale. L’organisation, qui est basée dans le centre-ville du Caire et associée à l’église St. Andrew’s, aide également les demandeur.euses d’asile dans les procédures bureaucratiques du HCR. Parallèlement, de nombreuses initiatives organisées de manière informelle sont en cours dans ces quartiers du Caire, qui comptent une forte proportion d’immigrant.es. Cependant, en raison de la loi égyptienne restrictive sur les ONG, elles restent informelles et n’ont que des capacités très limitées.

Les organisations satellites gouvernementales égyptiennes comme le Conseil national des femmes et les organisations gouvernementales de développement à l’étranger comme GIZ ou AICS sont tout aussi disposées à s’impliquer dans les mesures d’aide au développement que plusieurs branches européennes de la Croix-Rouge ou des ONG comme Plan International. En raison de la loi restrictive sur les ONG, qui réglemente et restreint fortement le financement étranger des projets, les organisations d’aide étrangère ne peuvent opérer en Égypte que dans des conditions très difficiles et se sont donc retirées progressivement du pays depuis des années. En outre, ce retrait est exacerbé par la difficulté de trouver des organisations partenaires en Égypte pour conclure des accords de coopération officiels. Pour la mise en œuvre des mesures relatives au contrôle des migrations et la mise en place de projets de développement, l’UE est donc fortement dépendante des organisations gouvernementales partenaires.

Les intérêts économiques − qui en bénéficiera ?

Les bénéficiaires de la coopération en matière de contrôle des migrations entre l’Europe et l’Égypte comprennent sans aucun doute les entreprises qui fournissent à l’Égypte des armes et des armements ainsi que des équipements pour les autorités de police. Il s’agit notamment de sociétés françaises comme le Naval Group, Dassault, Renault Trucks Defense ou Amesys, des sociétés italiennes Beretta et Iveco, ainsi que des fabricants d’armes allemands comme ThyssenKrupp Marine Systems et Diehl Defense.Il s’agit aussi du groupe Rheinmetall basé à Düsseldorf, qui aurait créé une usine de bombes et de munitions prêtes à l’emploi en Égypte en 2018 par l’intermédiaire d’une filiale située en Afrique du Sud.

Entre-temps, le régime militaire égyptien exploite largement la politique d’externalisation des frontières de l’UE dans la région méditerranéenne à des fins politiques. Les livraisons d’armes et d’équipements par des entreprises européennes, ainsi que l’aide à la formation de la police apportée par l’Allemagne et l’Italie, permettent au régime d’Al-Sisi de consolider son pouvoir et de donner à l’appareil de sécurité les moyens nécessaires pour boucler les frontières du pays et réprimer les agitations ou les manifestations par la force.

Qui perd ?

L’amélioration et l’armement systématiques du régime militaire autoritaire égyptien par l’UE, les États membres de l’UE et les organisations gouvernementales ou de la société civile impliquées dans l’externalisation du régime frontalier de l’UE vers l’Égypte ont permis de stabiliser globalement le régime d’Al-Sisi. Les inégalités sociales et économiques dans la société égyptienne grandissent pour ces raisons. La société égyptienne et tou.tes ceux.celles qui vivent en Égypte de manière temporaire ou permanente (et sont donc directement touché.es par le régime autoritaire d’Al-Sisi) sont placé.es en détention collective à cause du soutien et de la stabilisation du régime militaire égyptien.

Quelles résistances existe-t-il ?

Il n’existe quasiment pas de résistance efficace aux politiques de migration et d’externalisation des frontières de l’UE et à la coopération de l’UE avec le gouvernement égyptien. Tout engagement politique actif dans le pays est un danger de mort depuis l’arrivée au pouvoir d’Al-Sisi en 2013. Il y a toujours eu des périodes pendant lesquelles des groupes de défense des droits humains, des militant.es ou des syndicats indépendants égyptien.nes ont fait campagne pour les droits des immigrant.es et des réfugié.es, mais la société civile est de plus en plus paralysée et ne peut travailler que dans des conditions extrêmement difficiles. Les recherches journalistiques ou universitaires sur des sujets tels que l’externalisation des frontières, la coopération en matière de sécurité entre l’UE et l’Égypte ou les conditions de vie des réfugié.es et des migrant.es dans le pays sont difficiles et dangereuses pour les personnes concernées (y compris pour les personnes interrogées). Une observation efficace de certaines problématiques n’a donc été possible que dans une mesure très limitée depuis l’arrivée d’Al-Sisi.

Sources et documentation

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