Gambie
Publié mars 15th, 2021 - écrit par: Judith Altrogge, Omar N. Cham et Franzisca Zanker
assistées dans leurs recherches par Rafael Hernández Westpfahl
Informations générales et brève description du pays
La Gambie est un petit pays situé en Afrique de l’ouest et qui, à l’exception d’une courte bande littorale, est complètement enclavée dans le territoire sénégalais. La longue histoire de migration et de mobilité du pays s’explique notamment par sa position géographique, sa petite taille et par les différents groupes ethniques qui y vivent. Sur le plan économique, la Gambie dépend très largement du secteur touristique et de l’argent envoyé par les Gambien.nes vivant à l’étranger. Sur le plan politique, un régime dictatorial et répressif a dirigé le pays pendant 22 ans. Ce n’est que début 2017 que la dictature a pris fin et que le nouveau gouvernement de coalition démocratiquement élu et dirigé par le président Adama Barrow a rétabli la liberté d’expression et la liberté de la presse. En janvier 2020, Barrow a prolongé son mandat présidentiel au-delà de la période de transition de 3 ans initialement prévue, ce qui a déclenché des manifestations ainsi que des attaques de plus en plus nombreuses contre la liberté de la presse. Les élections à venir en 2021 risquent d'être très disputées. Entre 2014 et 2017, les Gambien.nes ont formé l’un des plus gros contingent de migrant.es arrivant en Europe : ils ont été des milliers à emprunter la route de la Méditerranée centrale (qu’on appelle aussi la route arrière, backway) en espérant échapper à la répression du régime et construire un avenir meilleur.
Situation politique et économique
Après l’indépendance de la Gambie, en 1965, le président Dawda Jawara a gouverné le pays pendant 32 ans. En 1994, cette période de relative stabilité de la « première République » a pris fin avec le coup d’Etat militaire et la prise de pouvoir par le lieutenant Yaya Jammeh. Malgré la popularité dont il jouissait initialement auprès de la population, Jammeh a instauré un régime de plus en plus répressif et despotique dont l’autoritarisme s’est encore renforcé après une tentative de coup d’Etat en 2014. La mainmise de Jammeh sur des secteurs-clés du monde des affaires a causé des dommages considérables à l’économie du pays.
En décembre 2016, une coalition d’opposition menée par Adama Barrow a remporté l’élection présidentielle, à la surprise de la population gambienne et de la communauté internationale. La Communauté Économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CÉDÉAO) a menacé d’envoyer des troupes militaires en Gambie pour faire respecter les résultats de l’élection. Ce coup de force, mené au nom de la démocratie, a finalement contraint Jammeh à quitter le pouvoir en janvier 2017, après 40 jours d’impasse politique. Le nouveau gouvernement a hérité d’un Etat au bord de la faillite, d’un taux de chômage élevé – surtout parmi les jeunes – ainsi que d’un marché du travail et d’un secteur éducatif en grande difficulté. A cela, il faut ajouter que le secteur de la sécurité est surdimensionné et à la merci de lourdes influences politiques. Le nouveau gouvernement a entrepris de restructurer en profondeur le système politique gambien dans le respect des droits humains, de la démocratie et des bonnes pratiques de gouvernance. Début 2020, Barrow a prolongé son mandat présidentiel au-delà de la période de transition de 3 ans initialement prévue, ce qui a déclenché des manifestations et entraîné des attaques de plus en plus nombreuses contre la liberté de la presse[1]. De nombreuses réformes sont depuis au point mort, à l’exception notable de deux projets qui sont au cœur de la période de transition : la « Commission vérité, réconciliation et réparations » (TRRC, en anglais) et la « Commission de révision de la Constitution » (CRC). Les deux commissions ont organisé diverses sessions de consultation des citoyen.nes, dont des « tournées » auprès de la diaspora à l’étranger. La TRRC enquête sur les violations des droits humains commises sous le régime de Jammeh; les audiences publiques sont très largement suivies par la population gambienne, qui y voit un moyen de se confronter à son passé. Malgré un léger retard dû aux restrictions à cause de la Covid-19, les audiences sont en cours. La Commission devrait présenter son rapport final en juillet 2021. La CRC a rédigé une nouvelle Constitution qui doit permettre de renforcer la démocratie et l’Etat de droit pour assurer l’avenir politique du pays. La proposition de la Constitution a toutefois été rejetée par l'Assemblée nationale en septembre 2020, avant même d'être soumise à un référendum. Les législateurs proches du gouvernement Barrow l'ont rejetée, les critiques estimant que ce rejet n'était pas dû uniquement à la limite rétroactive des mandats prévue par la proposition. L'incertitude règne quant à la suite du processus. Les efforts de médiation visant à relancer le projet de constitution, menés par l'ancien président du Nigeria, Goodluck Jonathan, se poursuivent dans le but de dégager un consensus national par le biais d'une approche multipartite.
En décembre 2020, le gouvernement gambien a lancé sa première politique migratoire nationale, qui est censée servir de cadre d'orientation pour la future gouvernance nationale des migrations. La politique aborde diverses dimensions clés de la migration, telles que la migration interne, la migration de travail, la migration de diaspora et la migration de retour. Elle a été élaborée avec un fort soutien de l'OIM. Jusqu'au lancement de la nouvelle politique, il n'y avait pas d'action globale sur la migration, à l'exception d'une politique de la diaspora, qui avait été élaborée après le changement de gouvernement grâce au soutien d'un programme de coopération technique dirigé par la diaspora, appelé Migration et développement durable en Gambie (MSDG).
Sur le plan économique, l’un des secteurs-clés est le tourisme qui s’est développé depuis les années 1970. Ciblant surtout les voyageurs européens, cette activité touristique renforce les liens entre les deux continents ; les interactions avec les touristes ajoutent à l’attrait des pays occidentaux et créent de nouveaux liens et mouvements de circulations. Les conséquences de la pandémie mondiale sur le secteur du tourisme risquent d'être catastrophiques. Le secteur à plus forte intensité de main d’œuvre reste cependant l’agriculture, qui repose essentiellement sur une agriculture de subsistance à petite échelle et quelques exploitations agricoles marchandes avec une productivité plutôt basse. Le faible niveau de ressources des familles d’agriculteur.ices, qui vivent principalement dans les régions rurales du centre du pays, ne leur permet pas d’envisager d’autres modes de vie. Celui-ci contraste fortement avec la réalité du littoral urbain gambien, et plus encore avec les destinations européennes.
L’envoi d’argent par les Gambien.nes vivant à l’étranger joue un rôle-clé dans l’économie du pays, représentant pas moins de 14,9% estimé du Produit intérieur brut (PIB) en 2020. Ce pourcentage élevé, qui dépasse même la part des Investissements directs à l’étranger (IDE), place la Gambie à la 3e place parmi les pays africains pour l’envoi de fonds par les travailleurs et travailleuses migrant.es. Beaucoup de ces transferts d’argent proviennent de migrant.es qui sont entré.es illégalement dans l’Union européenne (UE), notamment en Espagne.
Mouvments migratoires
On peut différencier trois grands types de mouvements migratoires en Gambie : l’émigration, l’immigration de réfugié.es vers le pays et les migrations intérieures.
L’émigration
Une part importante de la population gambienne, estimée entre 5% et 7%, vit à l’étranger. Le fait d’émigrer pour étudier ou travailler a une longue histoire en Gambie ; concernant d’abord les pays du Commonwealth, notamment le Royaume-Uni, la Sierra Leone, le Nigeria et le Ghana, le phénomène d’émigration s’est aussi étendu aux Etats-Unis à partir de la fin des années 1980. Aujourd’hui, on trouve d’importantes communautés de la diaspora gambienne dans des villes comme Bristol ou Chicago. Bien qu’elle ne se limite pas à un certain niveau de compétences, l’émigration a longtemps été une condition d’accès à l’enseignement supérieur, l’unique université du pays ayant été ouverte en 1999. Aujourd’hui encore, les pays étrangers, en tant que destination d’étude ou de travail, exercent un fort attrait sur les Gambien.nes ayant fait des études supérieures.
Le nombre de Gambien.nes venant en Europe avec un visa Schengen est très bas. En 2018 et 2019 respectivement, seulement 177 et 124 personnes ont reçu un visa de résidence pour étudier (principalement en Grande-Bretagne) et seulement 355 et 358 personnes ont obtenu un visa de travail (principalement en Espagne).
La diaspora gambienne, à travers les liens étroits qu’elle entretient avec son pays d’origine, est devenue une communauté influente sur le plan politique. Cet engagement de la diaspora a permis de créer des canaux efficaces qui utilisent les ressources et l’intérêt des Gambien.nes de l’étranger pour développer le secteur privé et réformer le secteur public en Gambie.
Dans les années 2010, le nombre de Gambien.nes arrivant en Europe sans visa Schengen par les rives de la Méditerranée a considérablement augmenté, occultant ainsi une compréhension plus large de la réalité actuelle de la migration gambienne. Selon les chiffres du Bureau gambien des Statistiques, 38,500 Gambien.nes ont quitté le pays par des voies migratoires dites « irrégulières » entre 2013 et 2017. Ces personnes n'émigrent pas de manière irrégulière au départ, puisqu'ils traversent les frontières de la CEDEAO de manière régulière jusqu'en Libye, en Algérie ou au Maroc. Les citoyen.nes des 15 pays membres de la CEDEAO peuvent en effet circuler librement dans la région sur simple présentation de leurs papiers.
Beaucoup des Gambien.nes qui décident d’émigrer par les routes terrestres et maritimes sont de jeunes hommes en quête de meilleures opportunités économiques. En effet, « les hommes ont la responsabilité de soutenir financièrement leurs parents et leurs foyers ; ces derniers ayant un besoin chronique d’argent liquide pour couvrir leurs dépenses courantes, on attend des hommes qu’ils aillent chercher cet argent »[2]. Ils sont encouragés dans cette logique par les conséquences bénéfiques qu’ont les envois individuels d’argent sur les conditions de vie des foyers gambiens dans l’ensemble du pays. Bien que cet idéal sociétal d’émigration persiste, beaucoup de familles sont loin d’approuver ce départ par la « route arrière », et ce d’autant plus qu’une prise de conscience s’est développée autour des dangers de la migration par voie terrestre. Beaucoup de migrant.es prennent seul.es la décision de partir, volant même parfois de l’argent à leur famille ou à leur employeur.euse pour financer le voyage. Les familles s'endettent souvent pour financer le voyage de leur enfant, ce qui augmente la pression pour qu'il réussisse, ainsi que la stigmatisation et l'exclusion sociale potentielles après une tentative de migration ratée. Ces obligations d’ordre culturel se basent sur une réalité politique et socio-économique. Le taux de chômage chez les jeunes s’élevait par exemple à 41,5% en 2018.
Beaucoup de ceux et celles qui partent le font par des voies dites « irrégulières » parce qu’ils et elles ne disposent pas d’alternative légale. Ces migrant.es déposent une demande d’asile à leur arrivée dans l’objectif d’obtenir un statut légal mais ils et elles n’ont pas souvent pas conscience de ce que ce statut implique d’un point de vue politique et juridique. Le nombre de demandes d’asile déposées par des Gambien.nes dans les pays de l’UE a fortement augmenté en passant de 1,515 demandes en 2012 à 16,030 demandes en 2016, avant de revenir à la baisse avec 2470 demandes en 2019. Ce sont de loin l’Italie et l’Allemagne qui reçoivent le plus grand nombre de ces demandes. Le taux de reconnaissance était assez faible, autour de 4 % pour les premières demandes dans l'ensemble de l’UE en 2017. La part des décisions positives est toutefois plus élevée parmi les secondes demandes et les demandes supérieures pour les ressortissants gambiens. Ainsi, le taux de protection global des demandeurs d'asile gambiens a donc récemment augmenté (voir tableau). Cela indique que la fluctuation générale ne correspond pas au changement politique dans le pays.
Reporting year Overall protection rate Germany
2014 -- 2%
2015 -- 2.7%
2016 -- 6.5%
2017 -- 4.7%
2018 -- 6.3%
2019 -- 4.7%
2020 -- 7%
Après l'arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement gambien, il est devenu moins probable que les demandeurs d'asile reçoivent une protection sur la base de persécutions politiques. Cependant d’autres raisons peuvent être invoquées pour une demande d’asile. L’une d’entre elles est la violence faite aux femmes en l’occurrence la mutilation des organes génitaux féminins, qui constitue une pratique courante et socialement acceptée en Gambie. Une autre raison est la crainte de persécutions, notamment de la part d’acteurs non-étatiques, pour les personnes gambiennes LGBTQ+. Face à une forte stigmatisation sociale ainsi que le harcèlement, ces personnes ne peuvent vivre librement leur identité sexuelle ni dans la sphère privée ni dans la sphère publique et ont donc de bonnes raisons de vouloir quitter le pays. Bien que le nouveau gouvernement ait pris ses distances par rapport à la rhétorique homophobe de l’ère Jammeh, certaines des lois les plus répressives en matière d’homosexualité sont toujours en vigueur et ne sont pas près d’être abrogées.
Les Gambien.nes ne demandent pas seulement l'asile en Europe mais aussi dans les pays voisins, bien qu'il n'existe pas de statistiques fiables. Outre les réfugié.es de longue date, comme ceux et celles ayant obtenu l’asile en raison de leur identité sexuelle, environ 45,000 personnes ont fui de la Gambie vers le Sénégal voisin pendant la période de transition entre la présidence de Jammeh et celle de Barrow, avant de revenir dans leur pays quelques jours plus tard.
Parallèlement à ceux et celles qui continuent à quitter la Gambie, un nombre important de migrant.es sont rentré.esdans leur pays ces dernières années. La plupart des retours officiellement comptabilisés étaient des évacuations de pays de transit vers l'Europe suite à la situation de plus en plus désastreuse en Libye à partir de 2017, facilitées par l'OIM. Entre 2017 et 2019, 5,002 migrant.es ont été renvoyé.es en Gambie depuis la Libye (2,992), le Niger (1,392) et d’autres pays situés le long des principales routes migratoires européennes et africaines (618). En comparaison avec ces pays de transit, les retours depuis l’Europe sont peu nombreux mais ont cependant augmenté depuis le changement de gouvernement. Entre 2017 et fin 2019, un total de 1,220 ont ou ont été renvoyés d'un pays de l'espace Schengen suite à un ordre de quitter le territoire. En raison du flou entourant ces concepts, ces chiffres n’incluent pas seulement les expulsions mais aussi les retours soi-disant « volontaires » qui varient selon la manière dont les pays de destination rapportent ces chiffres à EUROSTAT.
L’immigration
Bien que la Gambie soit devenue, depuis la fin des années 1990, un pays d’émigration nette, il s’agit historiquement d’un pays d’immigration. Selon les estimations de l’ONU, 215,406 personnes (soit 9,4% de la population) vivant en Gambie en 2019 étaient nées dans un autre pays. Quoique ce pourcentage ait décru depuis 2000 (où il était alors de 14.9%), la Gambie conserve l’une des proportions les plus élevées de la région CEDEAO en termes de nombre d’immigrant.es rapporté au nombre d’habitant.es. Ces immigrant.es viennent principalement du Sénégal voisin (près de la moitié du total), de la Guinée, de la Guinée-Bissau, du Mali, de la Mauritanie et du Sierra Leone. Il y donc davantage d’immigrant.es vivant en Gambie que de migrant.es gambien.nes vivant à l’étranger. De plus, les migrations circulaires temporaires liées au travail saisonnier sont courantes, en Gambie comme dans le reste de la région ouest-africaine. Parmi les communautés d’immigrant.es, outre ceux et celles venu.es des pays voisins, on trouve une diaspora libanaise de longue date dont beaucoup de ses membres sont aujourd’hui des citoyen.nes gambien.nes.
Les réfugié.es
Au cours des années 1990, les réfugié.es qui ont fui la guerre civile au Libéria (environ 2,000 personnes) et en Sierra Leone (environ 7,000) pour chercher refuge en Gambie ont représenté une part importante du taux d’immigration. Ce relatif afflux de réfugié.es s’est inversé au fil des années. Aujourd’hui, les réfugié.es urbains comme ruraux restent dans le pays –chacun de ces groupes devant affronter des défis spécifiques. Fin 2019, le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) des Nations Unies a enregistré un total de 4,308 réfugié.es en Gambie, dont 3,943 venu.es du Sénégal.
Les migrations intérieures
Les mouvements migratoires intérieurs en Gambie vont principalement des régions rurales de l’est aux zones côtières urbanisées de l’ouest du pays. Avec plus de 60% de la population vivant dans les zones urbaines, le taux d’urbanisation de la Gambie est déjà supérieur à celui de tous les autres pays d’Afrique de l’ouest. Bien qu’on ne dispose pas de données complètes et fiables sur les mouvements de migration entre campagne et ville, « l’exode rural » est considéré comme un défi de plus en plus pressant en Gambie[3]. Les régions de l’est du pays sont plus pauvres et manquent d’infrastructures économiques et d’éducation. Alors qu’elles constituent la base agricole du pays, elles sont de plus en plus confrontées à des défis de productivité, notamment celui de la pénurie croissante de main d’œuvre. Une enquête non représentative menée par l'OIM auprès de 150 migrants internes de la campagne vers la ville a révélé qu'environ 60% d'entre eux prévoyaient de rester dans la ville de destination, tandis que 40% prévoyaient de poursuivre leur voyage.
Perspectives
Le nombre de Gambien.nes arrivant sur les rives européennes, qui avait connu une croissance rapide, a fortement baissé ces dernières années : seulement 160 arrivées ont été enregistrées en 2019. Cette baisse est probablement due au changement de gouvernement en Gambie, mais aussi à une prise de conscience quant au fait qu’il apparaît de plus en plus vain d’aller en Libye et que les frontières vers l’Afrique de Nord sont de plus en plus verrouillées. Les coûts et les risques liés à cette « voie arrière » étant de plus en plus connus, l’opportunité de « réussir en Gambie » progresse dans le discours public, sous l’impulsion du paradigme gouvernemental « d’ empowerment de la jeunesse » et des projets à destination des jeunes Gambien.nes financés par des partenaires extérieurs.
Projets de l’UE
L’UE représente le principal soutien financier du gouvernement gambien, avec des contrats en cours d’une valeur totale de 350 millions d’euros dans un large éventail de secteurs. Cet engagement financier apparaît d’autant plus important que la Gambie ne fait pas partie des pays prioritaires dans le Cadre européen de partenariat pour les migrations. Cependant, l’UE a décidé d’encourager la « transition démocratique historique » du nouveau gouvernement gambien. En conséquence, la priorité est de « soutenir la transition démocratique en s’appuyant sur des institutions démocratiques fortes, le respect des droits humains et de l’Etat de droit, et une croissance économique durable et partagée ». Dans cette optique, le soutien financier est principalement fléché vers « la gouvernance, la sécurité et l’Etat de droit ». Une part importante est versée sous forme d’appui budgétaire direct.
Environ 10% de de l’assistance contractuelle est dédiée à la lutte contre la migration irrégulière et financée par le Fonds fiduciaire d’urgence de l’UE pour l’Afrique (EUTF). La priorité des trois projets financés par l’EUTF en Gambie est le développement d’opportunités économiques pour la jeunesse. Cet « empowerment des jeunes » inclut le développement de compétences professionnelles, la formation à l'entreprenariat, le soutien à l’emploi indépendant et la création d’emplois dans le secteur privé. Le premier programme de l’EUTF en Gambie a été le « Projet d’empowerment de la jeunesse » (YEP), lancé en février 2017. En avril 2019, les activités de l’EUTF ont été officiellement élargies à un ensemble de projets regroupés sous l’initiative « Tekki Fii – Tu peux réussir en Gambie » à laquelle appartient aussi le projet YEP. Les nouveaux projets sont mis en place par les agences internationales de développement de l’Allemagne (GIZ-IS), de Belgique (Enabel) et du Portugal (Instituto Marquês de Valle Flôr). Le montant total des projets « Tekki Fii » est de 32 millions d’euros ; le YEP, initialement doté de 11 millions d’euros, a reçu un financement complémentaire de 2 millions d’euros, tandis que le reste des projets cumule 19 millions d’euros sur trois ans.
Le 3e projet de l’EUTF, mis en place par l’OIM, concerne le retour et la réintégration des migrant.es revenu.es au pays. Le nombre de retour a rapidement dépassé les objectifs initiaux du projet, lancé en 2017. De nombreux retours supplémentaires ont été organisés depuis l’Afrique du Nord, principalement la Libye et le Niger, à travers « l’Initiative conjointe pour la protection et la réintégration des migrant.es » de l’UE et l’OIM. Outre des retours par avion, le projet offre des activités d’accueil élargies, comme des bilans de santé et des informations sur les possibilités d’assistance après le retour au pays. Le volet réintégration propose une aide en nature à laquelle peuvent candidater les migrant.es intéressé.es. Entre début 2017 et fin 2019, le programme a organisé le retour en Gambie de 5,002 migrant.es depuis la Lybie (2,992), le Niger (1,392) et d’autres pays situés le long des principales routes migratoires européennes et africaines (618).
La question du retour a aussi été l’un des sujets-clés des négociations et des accords entre le gouvernement gambien et l’UE. Faisant suite aux demandes répétées des pays européens d’approfondir la coopération, le gouvernement gambien a signé avec l’UE en mai 2018 un accord non-contraignant de « bonnes pratiques » sur les conditions favorables au retour forcé depuis les Etats membres de l’UE. Alors que la fréquence et la quantité des opérations de retour forcé augmentaient depuis novembre 2018, le gouvernement gambien a annoncé en mars 2019 un moratoire sur les déportations depuis l’UE, ce qui suspendait temporairement la plupart des retours forcés. Pendant cette période, les principaux points de désaccord concernaient les capacités de réintégration, la méfiance et les rumeurs entourant les retours ainsi que les problèmes de communication entre les différentes autorités gambien.nes travaillant sur cette question. Bien que le moratoire ait été levé à la fin de 2019, les vols de retour affrétés n'ont pas pris le rythme, notamment en raison de la pandémie de COVID-19. L'issue des récentes négociations avec l'UE n'est pas publique. Le nouveau code des visas Schengen de l'UE, adopté en février 2020, contient un usage potentiel de sanction pour les pays tiers qui ne coopèrent pas en matière de retour. Le code pourrait être utilisé pour mettre davantage de pression sur le gouvernement gambien. Parallèlement aux négociations au niveau de l'UE, les responsables gambiens échangent au niveau bilatéral avec leurs homologues des pays européens à la recherche de solutions, comme avec l'Allemagne et la Suisse. Au niveau des États membres, les expulsions d'Allemagne, qui ont augmenté le plus rapidement après le changement de gouvernement, sont devenues particulièrement contestées, tant au niveau politique que parmi les acteurs de la société civile et dans les médias gambiens.[4]
La Suisse suit une approche différente pour coopérer en matière de migration et de retour avec le gouvernement gambien. En janvier 2021, la Suisse a signé un nouvel accord de migration avec la Gambie, qui couvre également les retours. L'accord comprend un soutien à la mise en œuvre de projets locaux (non spécifié) et des considérations pratiques telles que la délivrance de documents d'identité.
Il existe peu d’initiatives de gestion des frontières en Gambie. Le projet Blue Sahel, financé par l’UE et l’Espagne et mis en place dans plusieurs pays côtiers d’Afrique de l’Ouest depuis 2017, a conduit à l’intensification des patrouilles menées au large des côtes par le ministère gambien de l’Immigration. Alors que la période initiale du projet s'est terminée en 2020, il est probable qu'elle ait été prolongée, bien qu'aucune vérification n'existe. Il s’inscrit dans la lignée des projets Seahorse et West Japan, qui avait commencé en 2012. Un projet de l’OIM financé par le Japon, qui a pris fin en 2019, visait à favoriser la coopération transfrontalière au poste-frontière de Farafenni, où les mouvements de migration ont augmenté depuis la construction du pont Sénégambie au-dessus du fleuve Gambie. Une prolongation du projet est prévue.
Quel est le rôle des ONG?
En raison de la longévité du régime répressif de Yahya Jammeh, la société civile a eu peu de temps pour se développer. Il convient cependant de mentionner certain.es de ses membres. En raison de l’importance politique et économique donnée à l’empowerment de la jeunesse (voir ci-dessus), le Conseil national de la jeunesse (NYC), principal organe de représentation des jeunes gambien.nes, est devenu un acteur-clé de l’élaboration des politiques et de la mise en place des projets relatifs à la jeunesse. Le NYC est une agence semi-publique qui a pour mandat de mobiliser, coordonner et superviser les organisations de jeunesse, de mettre en œuvre les programmes nationaux liés à la jeunesse et de conseiller le gouvernement sur ces sujets. Le Conseil dispose d’un rôle unique, au croisement entre politique nationale, représentation de la société civile et partenariats internationaux.
Les migrant.es rentré.es en Gambie ont rejoint des groupes militants ayant une certaine influence politique. Le groupe « Jeunes contre la migration irrégulière » (YAIM, Youth Against Irregular Migration) a été fondé pour créer un mouvement national basé sur la sensibilisation à la migration irrégulière. Le groupe « Gambien.nes de retour de la route arrière » (GRB, Gambian Returnees from the Backway) a rejoint ce mouvement ; souhaitant assurer à ses membres de meilleures perspectives de réintégration, il a mis en place un projet agricole collectif qui s’appuie sur les aides individuelles de réintégration versées par l’OIM. Depuis 2018, le « Réseau des filles contre la traite des êtres humains » (Network of Girls Against Human Trafficking) propose un processus de soutien mutuel et de représentation des travailleuses migrantes rentrées des pays du Golfe où elles ont été victimes du système d’esclavage mis en place dans le secteur du travail domestique.
Activista The Gambia et le Bureau catholique pour le développement (CaDO, Catholic Development Office, qui représente Caritas en Gambie), sont deux ONG qui mettent en œuvre des activités liées aux migrations avec le soutien de leurs partenaires internationaux. Activista, le réseau de jeunesse d’ActionAid, a coopéré avec l’OIM sur le travail de sensibilisation à la migration irrégulière. Le CaDO est le partenaire chargé de la mise en œuvre du projet ERRIN (European Return and Reintegration Network), le programme commun de l’UE pour le retour et la réintégration ; il accompagne les plans de réintégration des migrant.es rentré.es « volontairement ».
L’Union de la presse gambienne (The Gambia Press Union, GPU), qui représente les travailleurs et travailleuses du secteur des médias, a joué un rôle actif dans la reconquête de la liberté de la presse depuis le changement de gouvernement. Elle suit d’un œil critique l’évolution de la situation depuis les manifestations contre la prolongation du mandat de Barrow et craint que les libertés récemment conquises soient à nouveau menacées. La GPU et la Commission nationale des droits humains (National Human Rights Commission, NHRC) ont engagé des discussions avec le gouvernement après la fermeture de deux chaînes de radio et l’arrestation de journalistes ayant participé aux manifestations contre la prolongation du mandat de Barrow. La réouverture des chaînes de radio et l’abandon des poursuites contre les journalistes ont été saluées par la GPU mais celle-ci a précisé sa position : « Nous avons besoin de plus que cela. Il ne s’agit pas simplement de fermer puis de rouvrir des chaînes de radio. L’important est de dire à ceux et celles qui abusent d’un pouvoir qu’ils et elles n’ont jamais eu : ne le faites plus jamais ».
Quels intérêts économiques sont en jeu ? A qui profitent-ils ?
Le soutien financier apporté par les bailleurs internationaux au gouvernement gambien s’est considérablement accru après la chute de la dictature. La rhétorique gouvernementale place l’intérêt général au premier plan de sorte que beaucoup s’attendaient à ce que les nouveaux programmes et les processus de réforme de la gouvernance génèrent de larges profits. Compte tenu de la méfiance générale à l’égard du monde politique, les Gambien.nes sont nombreux.euses à soupçonner les élites politiques de s’enrichir grâce aux financements internationaux. La question du retour des migrant.es constitue aussi un enjeu politique controversé puisqu’elle est liée, dans le discours public, à des accusations de corruption. Ces allégations visent des hommes et femmes politiques soupçonné.es de tirer des profits personnels de la signature d’accords de rapatriement. Aucune preuve n’est venue étayer ces accusations, à ce jour.
Qui est perdant.e et pourquoi ?
En raison de la forte attention politique accordée à la migration irrégulière dirigée vers l'Europe, d'autres sujets liés à la migration restent sous-exposés. C'est le cas, par exemple, de la question de la traite des jeunes femmes gambiennes à des fins de travail domestique dans les États arabes du Golfe. Les revendications du « Réseau de filles contre la traite des êtres humains », qui souhaite recevoir une aide à la réintégration comparable à celle des migrants renvoyés des pays de transit vers l'Europe, n'ont donné lieu à aucun soutien fonctionnel. Un deuxième exemple de préoccupation est l'attention limitée accordée aux négociations sur la migration régulière, non seulement vers l'Europe mais aussi dans la région et sur le continent.
Comment s’organise la résistance ?
Des manifestations contre la coopération en matière de migration et de retour ont eu lieu au printemps 2019, juste avant la première annonce par le gouvernement d’un moratoire. Le pic d’indignation a été atteint lors d’une opération de retour spécifique organisée le 25 février 2019 depuis l’Allemagne. Les autorités gambiennes, affirmant n’avoir pas été informées suffisamment à l’avance, ont d’abord refusé cette opération. Elles ont ensuite accepté et déclenché ainsi un tollé général.
De manière générale, l’opposition au Barrow gouvernement s’est accentuée. Une grande partie des critiques se fondent sur des allégations de maintien d'une gouvernance non démocratique. En mai 2019, déjà, Amnesty International avait relevé les abus de pouvoir persistants dont faisaient preuve les forces de sécurité et de police du nouveau gouvernement, notamment des arrestations et des détentions arbitraires et même des tirs mortels contre des manifestant.es, ainsi que des violations de la liberté d’expression. À l'approche de la fin du mandat initial de trois ans de Barrow, le mouvement Three Years Jotna (« Trois ans, c'est assez » en wolof), a protesté contre la prolongation de sa législature. Leurs protestations comprenaient une manifestation exigeant la démission du président. Avec jusqu'à 10 000 Gambiens participants, selon des sources non confirmées, il pourrait s'agir de l'une des plus grandes manifestations de l'histoire de la Gambie. Les activités du mouvement ont été interrompues par l'arrestation des dirigeants du mouvement et de 137 manifestant.es, dont des journalistes, ainsi que par la fermeture temporaire de deux stations de radio. Après avoir été libérés, les dirigeants du mouvement ont été ré-arrêtés en février 2021. Actuellement, le gouvernement actuel et ses opposants font campagne pour les prochaines élections de décembre 2021.
Statistiques relatives aux migrations
Ci-après: statistiques migratoires relatives à la Gambie pour les dernières années.
Ces chiffres donnent essentiellement des ordres d’idée et doivent être pris avec précaution. Afin d’éviter les erreurs d’interprétation liées aux différents modes de mesure de la migration et de calcul du nombre de migrant.es, une analyse plus approfondie de ces chiffres est nécessaire. Ces chiffres peuvent être basés sur des estimations et peuvent varier – parfois de manière drastique – selon les bases de données. Dans la région CEDEAO, il existe aussi très peu de moyens d’enregistrer les émigrant.es ou les migrant.es en transit. Le Bureau gambien des Statistiques manque par exemple cruellement de moyens ; un recensement mené en 2013 n’a fait l’objet d’une publication complète qu’en 2017.
Type de migration Description Chiffres
Emigration
Nombre de Gambien.nes vivant à l’étranger 2019: 118,500[58] Pourcentage de la population vivant à l’étranger 5,15% (selon d’autres estimations: jusqu’à 9%) Nombre d’arrivées irrégulières en Europe 2019: 160
2018: 3,802
2017: 8,840
2016: 12,930[59]
Nombre de Gambien.nes qui déposent une demande d’asile pour la première fois en Europe 2019: 2,930
2018: 4,180
2017: 12,400
2016: 15,510[60]
Envoi d’argent depuis l’étranger En dollars US 2019: 275 millions (Banque mondiale 2019)
2020 est.: 261 million
(World Bank)[61]
Pourcentage du PIB 2019: 15,5%[62]
2020 est.: 14.9%
Immigration Nombre d’immigrant.es en Gambie 2019: 215,400[63] Réfugié.es Nombre de réfugié.es en Gambie 2019: 4,308[64]
Bas de page
[58] UN DESA (2020): Trends in International Migrant Stock: 2019 Revision. https://www.un.org/en/development/desa/population/migration/data/estimates2/data/UN_MigrantStockByOriginAndDestination_2019.xlsx. 24.02.21.
[59] UNHCR (2020): “Arrival, dead and missing and population data - Europe refugee and migrant response.” https://data2.unhcr.org/en/documents/details/58460 24.02.21.
[60] EUROSTAT (2020): “Asylum and first time asylum applicants by citizenship, age and sex Annual aggregated data (rounded)” 24.02.21. https://appsso.eurostat.ec.europa.eu/nui/submitViewTableAction.do
[61] World Bank (2020): Migration and Remittances Data. Annual Remittances Data (updated as of Apr. 2020) Inflows. https://www.worldbank.org/en/topic/migrationremittancesdiasporaissues/brief/migration-remittances-data 08.05.20.
[62] World Bank (2020): Migration and Remittances Data. Annual Remittances Data (updated as of Apr. 2020) Inflows. https://www.worldbank.org/en/topic/migrationremittancesdiasporaissues/brief/migration-remittances-data. 08.05.20
[63] UN DESA (2020): Trends in International Migrant Stock: 2019 Revision. 08.05.20. https://www.un.org/en/development/desa/population/migration/data/estimates2/data/UN_MigrantStockByOriginAndDestination_2019.xlsx. 24.02.21.
[64] UNHCR (2020): Operation Portal, Refugees Situation. Gambia. https://data2.unhcr.org/en/country/gmb 24.02.21.
Footnotes
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Amnesty International (2020): Gambia: Mass arrests risk fuelling tensions https://www.amnesty.org/en/latest/news/2020/01/gambia-mass-arrests-risk-fuelling-tensions/. See also: Foroyaa (2019): ECOMIG is a stabilising force in The Gambia – Foreign Minister Tangara https://foroyaa.gm/ecomig-is-a-stabilising-force-in-the-gambia-foreign-minister-tangara/.
↩ -
Gaibazzi, Paolo (2015): Bush Bound: Young Men and Rural Permanence in Migrant West Africa (p. 94).
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Studies referring to rural-urban migration include ActionAid (2019): ‘Back Way’ to Europe: How can The Gambia better address migration and its development challenges?”. https://actionaid.org/sites/default/files/back_way_to_europe_web.pdf and a study by IOM (2020): “The Gambia – Mobility Assessment on Internal Migration”. https://migration.iom.int/reports/gambia-%E2%80%94-mobility-assessment-internal-migration-february-2020.
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La chercheuse en sciences sociales et activiste Aino Korvensyrjä explique certaines de ces luttes à l'occasion d'un vol affrété de déportation depuis l'Allemagne en novembre 2020 pour le contrôle des migrations. Concrètement, elle voit les autorités allemandes légitimer les déportations en caractérisant les délinquants criminels comme non intégrables, et ainsi diviser la communauté des migrants et affaiblir le militantisme contre les déportations : https://migration-control.info/resumption-of-charter-deportations-from-germany-to-the-gambia-exploring-the-integration-deportation-nexus/ 24.02.2021.
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