Soudan du Sud

Publié(e) juillet 4th, 2020 - écrit par: Simone Schlindwein

Loin de l’Europe

La guerre civile au Soudan du Sud crée des milliers de réfugié.es chaque jour. Elle reste essentiellement un drame intra-africain de réfugié.es, avec des millions de personnes déplacées.

Dans l’histoire récente de l’Afrique, presque aucun autre pays n’a créé plus de nouveaux.elles réfugié.es que le Soudan du Sud. Début décembre 2016, le bureau de coordination humanitaire des Nations Unies (OCHA) a recensé, pour la première fois depuis l’indépendance en 2011, plus de trois millions déplacé.es et de réfugié.es sur une population totale d’environ 12 millions de personnes: 1,87 million dans leur propre pays et 1,15 million dans les pays voisins. Chaque jour, plusieurs milliers de personnes sauvent leur vie en fuyant vers les pays voisins, principalement l’Ouganda. Environ 1,7 million de personnes ont urgemment besoin d’aide humanitaire à l’intérieur du pays.

En 2011, après plus de 20 ans de guerre civile et de lutte pour la libération, des millions de Sud-Soudanais.es avaient célébré leur indépendance par rapport au Soudan. Des millions de personnes étaient revenues d’exil pour reconstruire un pays alors complètement détruit. Revenant des États-Unis, du Canada et de l’Europe, elles rapportaient avant tout de l’espoir ainsi que le savoir construit par l’éducation. Mais cet enthousiasme n’a pas été de longue durée. En décembre 2013, le président Salva Kiir a accusé son rival et vice-président Riek Machar de tentative de coup d’État. En quelques jours, la guerre civile a éclaté à nouveau. La lutte pour le pouvoir politique entre deux poids lourds militaires s’est rapidement transformée en un conflit ethnique entre les Dinka et les Nuer, entraînant des déplacements et des massacres.

Malgré un accord de paix et de cessez-le-feu entre Kiir et Machar en septembre 2018, la situation ne s’est pas encore assez stabilisée pour permettre aux réfugié.es de retourner dans leur pays en grand nombre. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR ou HCR), entre 2017 et 2018, seulement 11.000 Sud-Soudanais.es environ sont revenu.es des camps de réfugié.es situés près de la frontière ougandaise. Beaucoup d’entre elles et eux sont rentré.es dans leurs villages pour un court séjour, afin de semer des graines et replanter leurs champs pour pouvoir les conserver à long terme, mais sont ensuite retournés en Ouganda. La plupart de celles et ceux resté.es au Soudan du Sud se sont retrouvé.es déplacé.es dans leur propre pays à cause des destructions ou de l’insécurité engendrées par la situation. La majorité des Sud-Soudanais.es ne croient pas au dernier accord de paix. Un accord similaire avait été conclu en 2015 mais les combats n’ont pas cessé depuis.

Des millions de personnes en fuite

Rien qu’en Ouganda, on recense environ 850.000 réfugié.es sud-soudanais.es fin 2019, dont les deux tiers sont des enfants. Plus de la moitié d’entre eux ont migré vers l’Ouganda en l’espace de quelques mois au cours de l’été 2016. Selon le HCR, 850.000 réfugié.es supplémentaires se trouveraient au Soudan, 312.000 en Éthiopie, 120.000 au Kenya, 100.000 en République démocratique du Congo et 5.000 en République centrafricaine.

Ces dernières années, les agences d’aide des Nations Unies ont fait face à des difficultés croissantes pour venir en aide aux personnes dans le besoin vivant au Soudan du Sud. Selon les chiffres du HCR, plus de 1,4 milliard de dollars auraient été nécessaires en 2019, mais seulement 30% de ce montant a été abondé par les donateurs internationaux. Même la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud (MINUSS), qui héberge environ 200.000 personnes à l’intérieur ses camps, n’est pas toujours en mesure de protéger les réfugié.es des attaques. Dans la plupart des camps, les conditions de vie sont considérées comme désastreuses.

Le Soudan du Sud est un drame de réfugié.es à l’ancienne, loin des frontières de l’Europe. La réinstallation organisée des réfugié.es dans des pays européens ou nord-américains, notamment dans le cadre des programmes de réinstallation américains, est plus courante que la fuite irrégulière vers l’Europe. L’ampleur de la misère au Soudan du Sud est donc aussi une garantie que la crise des réfugié.es dans la région n’atteindra pas l’Europe. Entre l’indépendance du pays, en 2011, et juillet 2016, seulement 540 Sud-Soudanais.es ont cherché refuge en Europe. 

Citoyen.nes sans passeport

Cela est également dû au fait que seule une minorité de la population du pays (estimée à dix millions d’habitant.es) possède des papiers sud-soudanais. Comme le Soudan du Sud n’existe que depuis le 9 juillet 2011 en tant qu’Etat indépendant, et que ce n’est qu’en 2012 que le nouveau gouvernement a commencé à délivrer des passeports et des cartes d’identité, tous les Sud-Soudanais.es adultes sont né.es en tant que Soudanais.es. Avec le début de la guerre en décembre 2013, ce processus de régularisation a dû être interrompu.

Celles et ceux qui n’ont pas de papiers sud-soudanais ne peuvent pas attester de leur origine à l’étranger. La plupart des Sud-Soudanais.es à l’étranger sont enregistré.es comme citoyen.nes soudanais.es, ce qui représente déjà un privilège. En effet, lorsque la République du Soudan a accordé l’indépendance à la partie sud du pays en 2011, elle a retiré la citoyenneté soudanaise aux personnes d’origine sud-soudanaise qui vivaient dans le reste du Soudan et qui y ont pour la plupart grandi. Jusqu’à 700.000 personnes d’origine sud-soudanaise vivant sur le territoire soudanais ont bénéficié d’un délai de neuf mois pour, soit se renaturaliser, soit essayer d’obtenir un permis de séjour régulier en tant qu’étranger.es, soit retourner dans leur « patrie », qui s’avère en réalité inconnue de beaucoup d’entre elles et eux. En parallèle, le Soudan du Sud a interdit la double nationalité avec le Soudan pour ses propres citoyen.es.

À l’issue du délai du 8 avril 2012, plusieurs centaines de milliers de personnes étaient toujours apatrides, donc sans droits, et menacées d’expulsion. On peut supposer que beaucoup d’entre elles sont parties vers le nord – en tant que réfugié.es soudanais.es qui ne peuvent cependant être renvoyé.es ni au Soudan ni au Soudan du Sud, car le Soudan ne les reconnaît plus comme citoyen.es et le Soudan du Sud ne les reconnaît pas encore comme tel.les.

En raison de la guerre civile, tout retour de réfugié.es au Soudan du Sud est impossible. Par conséquent, la coopération européenne avec le Soudan du Sud dans le cadre du processus de Khartoum reste d’ordre général. Le soutien à la collecte de données et à la lutte contre la traite des êtres humains sont les seuls projets spécifiques au Soudan du Sud dans le cadre du « programme pour une meilleure gestion de la migration dans la Corne de l’Afrique » (Better Migration Management).

Paradoxalement, la situation de guerre civile facilite l’enregistrement des ressortissant.es du Soudan du Sud sur le long terme. Ce que leur propre gouvernement n’a pas effectué est maintenant mis en œuvre par le HCR et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Le HCR documente l’origine des personnes déplacées à l’intérieur du pays; l’OIM s’occupe de leur enregistrement biométrique. Depuis le début du projet de l’OIM à l’été 2015, plus de 405.000 Sud-Soudanais.es ont été enregistré.es biométriquement.

Un pays dépendant d’aides financières

Selon les chiffres de 2019, l’UE a dépensé un peu moins de 50 millions d’euros d’aide pour le Soudan du Sud. En 2018, elle a fourni 47 millions d’euros supplémentaires pour les réfugié.es du Soudan du Sud résidant dans les pays voisins. Depuis 2014, l’UE a dépensé plus de 550 millions d’euros pour la résolution de la crise au Soudan du Sud.

Depuis l’accord de paix de septembre 2018, la communauté internationale espère à nouveau une stabilisation prochaine du pays et un retour progressif des réfugié.es exilé.es. C’est dans ce cadre que le HCR a mis en place un plan régional d’intervention en faveur des réfugié.es (Regional Refugee Response Plan) avec les partenaires internationaux pour la période 2019-2020, afin de combler les déficits de financement dans l’aide aux réfugié.es. Toutefois, ce plan ne prévoit qu’une légère réduction du nombre de réfugié.es en exil et un faible taux de retour. Il se concentre plutôt sur l’enregistrement civil des bébés nés dans les camps de réfugié.es des pays voisins, afin que ceux-ci puissent à l’avenir obtenir la citoyenneté sud-soudanaise. 

Suite à l’obtention de l’indépendance en 2011, la mission de maintien de la paix des Nations Unies MINUSS a été mise en place au Soudan du Sud pour aider à stabiliser le pays en conflit. Avec environ 12.500 casques bleus, celle-ci représente la deuxième mission de l’ONU sur le continent. Après sa restructuration en 2014 face à la recrudescence des combats, elle comprend désormais les missions suivantes : protection des personnes civiles, veille et enquête sur les droits humains, garantie des conditions nécessaires à la fourniture de l’aide humanitaire, soutien à la mise en œuvre de l’accord de cessation des hostilités.

Les accords de cessez-le-feu et de paix entre les parties au conflit au Soudan du Sud ont été négociés sous les auspices de l’organisation régionale IGAD (Autorité intergouvernementale pour le développement, basée à Djibouti). Les objectifs que s’est donnés l’organisation sont d’assurer la sécurité alimentaire, de soutenir les opérations de maintien de la paix et les opérations humanitaires, ainsi que de soutenir le développement économique et celui de l’intégration du pays dans la région. L’UE considère l’IGAD, qui a également joué un rôle important dans la résolution du conflit en Somalie, comme l’organisation partenaire clé pour stabiliser les conflits et les mouvements migratoires dans la Corne de l’Afrique. Début 2019, elle s’est engagée à soutenir les projets de l’IGAD à hauteur de trois milliards d’euros.

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