MINUSMA et les opérations militaires au Sahel

Publié(e) mars 1st, 2021 - écrit par: Christoph Marischka, Informationsstelle Militarisierung

UN7280217_b1a_-e1617208680305 (1)
Forces de police sénégalaises servant sous la MINUSMA patrouillant dans les rues de la ville de Gao au Mali. Photo : ONU, 2013

Vue d'ensemble

La MINUSMA est une mission de stabilisation sous la responsabilité du Département des opérations de maintien de la paix (DOMP) des Nations Unies (ONU) au Mali. Elle a débuté en 2013 dans un contexte d'effondrement généralisé de l'État malien et est née d'une intervention militaire française et d'une courte mission militaire (AFISMA) menée par la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). Selon son dernier mandat (résolution 2531 du Conseil de sécurité des Nations unies du 29 juin 2020), la MINUSMA comprend jusqu'à 13 289 militaires et 1 920 policiers. Les principaux objectifs de la mission sont la stabilisation et la mise en œuvre d'un « accord de paix ».

La MINUSMA est actuellement considérée comme la mission des Nations unies la plus dangereuse au monde, avec le plus grand nombre de victimes. Selon les statistiques officielles, 240 membres de la mission de l'ONU étaient mort.es en mars 2021, dont 140 par action ennemie. Mesurée à l'aune des objectifs de la mission, celle-ci devrait aujourd’hui être qualifiée d'échec, car la situation sécuritaire dans le pays n'a cessé de se détériorer depuis son lancement et l'insécurité s'est étendue à d'autres régions du pays ainsi qu'aux États voisins, notamment le Niger et le Burkina Faso.

Minusma-Karte
Carte : MINUSMA, https://minusma.unmissions.org/sites/default/files/s_2020_952_e.pdf

Contexte

L'indépendance du Mali vis-à-vis de la France a vu l'intégration de populations et de modes de vie différents dans un État commun, qui est toutefois resté largement fictif en dehors de la capitale Bamako. La faiblesse des recettes fiscales ne permet pas, par exemple, de garantir la présence de forces de police dans tout le pays ou la surveillance des vastes régions frontalières. Par-dessus tout, les Touaregs vivant dans le nord du Mali et les États voisins – mais aussi d'autres groupes de population – ont insisté sur leur indépendance et leurs identités transfrontalières. Ils ont échappé au contrôle de Bamako par plusieurs rébellions, dont la plupart ont été réglées par l'attribution de postes largement fictifs (privilèges et salaires) à leurs chefs. Parmi la population du sud, des réserves existent encore en partie à l'encontre des groupes de population du nord, parce qu'il y a des générations, ils avaient participé à l'asservissement des personnes à la peau plus foncée.

Peu après les attaques du 11 septembre 2001, les États-Unis notamment ont identifié la région du Sahel comme étant caractérisée par un État faible ou défaillant et donc comme un refuge potentiel pour le terrorisme. Toutefois, leurs activités militaires et de renseignement croissantes dans la région – qui se sont traduites en 2007 par la création d'un haut commandement américain distinct pour le continent africain, Africom – ont également été justifiées à plusieurs reprises par la présence accrue de la Chine. Par ailleurs, dans les années suivantes, le nombre d’enlèvements d'étranger.ères occidentaux.ales a augmenté, ce qui a entraîné une baisse du tourisme. En outre, la contrebande de cocaïne d'Amérique latine vers l'Europe via l'Afrique de l'Ouest, ainsi que le déplacement de la protection des frontières de l'UE, ont de plus en plus placé la région au centre de la politique de sécurité occidentale. En conséquence, des pressions ont été exercées sur les gouvernements locaux pour qu'ils remplacent leur pratique antérieure de gouvernement intermédiaire par une présence militaire et policière plus forte dans les campagnes et une meilleure surveillance des frontières. Le gouvernement malien a tenté de mettre en œuvre ce programme avec son « Programme spécial pour la paix et le développement dans le nord du Mali » partiellement financé par l'UE – ce que certaines parties de la population du nord ont perçu comme une menace pour leur indépendance et les élites locales comme une menace pour leurs privilèges.

L’intervention de l’OTAN en 2011 et la guerre civile en Libye ont déstabilisé l’ordre à grande échelle et ont également contribué à l’escalade des problématiques au Mali. La Libye avait auparavant agi comme une sorte de puissance protectrice pour les Touaregs, et de nombreux membres de ce groupe avaient servi dans l'armée libyenne. Après la chute de Kadhafi, ces derniers sont retournés au Mali avec d'importants moyens militaires et ont formé un mouvement pour l'indépendance du nord (Azawad), qui n'a toutefois pas manifesté initialement d'aspirations sécessionnistes manifestes. L'expulsion de l'armée malienne officielle du nord, qui s'est également accompagnée de massacres, a intensifié les réserves déjà existantes entre les groupes de population et a conduit à un coup d'État de jeunes officiers dans la capitale Bamako en mars 2012, ce qui a renforcé l'incapacité de l'État à agir. Des parties du mouvement indépendantiste ont alors déclaré l'indépendance du nord, mais des groupes djihadistes ont de facto pris le contrôle des grandes villes du nord et y ont instauré un ordre strict, prétendument fondé sur la charia.

L'effondrement presque total de l'ordre étatique au Mali et, en particulier, la destruction des biens culturels sur place, qui ont fait l'objet d'une grande attention médiatique, ont donné lieu à des discussions sur une intervention militaire internationale dans le courant de 2012. La CEDEAO s'est proposée comme organisation régionale à cette fin, et un déploiement correspondant a été mandaté par le Conseil de sécurité des Nations unies en décembre 2012 avec la résolution 2085.

Le véritable signal de départ du déploiement des troupes de la CEDEAO a toutefois été l'intervention militaire française Serval, qui a débuté le 11 janvier 2013. Aujourd'hui encore, on a coutume de dire qu'il s'agissait d'une réaction spontanée à la demande du gouvernement malien de transition, après que les islamistes eurent capturé la petite ville de Konna la veille et menacé d'avancer sur Bamako. Cependant, l'intervention militaire française complexe, qui a utilisé plusieurs États de la région comme zones d'étape, semblait bien préparée et il est fort douteux que les islamistes aient pu ou aient eu intérêt à progresser plus au sud.

Les forces d'intervention françaises ont été soutenues par l'armée malienne et les troupes du Niger voisin ainsi que du Tchad, à partir duquel la France opérait. Ensemble, ils ont rapidement réussi à repousser les islamistes, permettant ainsi le déploiement permanent des troupes de la CEDEAO sous le mandat d'AFISMA. Le déploiement de plusieurs milliers de soldat.es du Nigeria, du Burkina Faso, du Bénin et du Tchad, entre autres, a été soutenu par l'Allemagne et les États-Unis. Le déploiement a été largement financé par des fonds européens. L'objectif initial de 3 000 soldats a été rapidement atteint et même dépassé, même si, dans le cas des troupes du Tchad et du Burkina Faso, entre autres, il n'était pas toujours évident de savoir si elles étaient sous le contrôle de la CEDEAO, des troupes françaises ou de leurs commandant.es nationaux.ales. Cette ambiguïté persiste dans la mission de suivi MINUSMA, qui a remplacé AFISMA en juillet 2013. De facto, une grande partie du contingent est restée au Mali, a été transférée à la mission de l'ONU et a considérablement été augmentée. Le transfert vers une mission des Nations Unies a toutefois permis aux pays tiers de participer dans une plus large mesure (dans certains cas avec un équipement nettement meilleur). En dehors du Tchad, qui s'est impliqué dès le début, les plus gros contributeurs de troupes en dehors de la CEDEAO sont le Bangladesh, l'Egypte, la Chine et l'Allemagne.

Mandat

Le mandat initial de la MINUSMA du 1er juillet 2013 énumère déjà sept domaines de responsabilité, qui comptent à leur tour jusqu'à cinq sous-rubriques. Le premier d'entre eux est la « stabilisation des centres de population importants et le soutien à la restauration de l'autorité de l'État dans tout le pays ». Il s'agit notamment de « mesures actives [...] pour empêcher le retour d'éléments armés », mais aussi de mesures « pour reconstruire le secteur de la sécurité malienne, en particulier la police et la gendarmerie [...] ainsi que les secteurs de l'État de droit et de la justice » et de « programmes de désarmement, de démobilisation et de réinsertion des ancien.nes combattant.es et de démantèlement des milices ».

UN7302885_b2b_ (1)
Les forces de police maliennes sont également formées dans le cadre de la mission MINUSMA des Nations unies. Photo : ONU, 2013

Une ventilation tout aussi détaillée est fournie pour le deuxième domaine de responsabilité, qui concerne la « mise en œuvre de la feuille de route pour la transition » et le retour à un « ordre constitutionnel ». Elle parle de « renforcement de la confiance » et d'un « dialogue national inclusif et d'un processus de réconciliation ». Parmi les autres domaines de responsabilité figurent la protection des civil.es, la promotion des droits de l'homme, la préservation des biens culturels et le « soutien à la justice nationale et internationale ». Le mandat est ainsi formulé de manière si globale que, bien qu'il implique toutes sortes de pouvoirs, un échec est prévisible sur au moins une grande partie des tâches fixées. En fin de compte, la revendication a été formulée pour construire un État entièrement nouveau dans le cadre d'une mission militaire et pour surmonter dans le même temps de nombreux conflits sociaux. A ce moment-là, la manière dont cet État devait être façonné et comment la population devait être impliquée dans le processus n'était cependant que vaguement comprise.

A2-NINUSMA-in-Gao-e1617262559594-300x124.png
Casques bleus de la MINUSMA lors d'une patrouille conjointe avec les forces de sécurité maliennes dans la ville de Gao. Photo : MINUSMA, 2020

L'ampleur de la mission est restée intacte après-coup. Depuis la mi-2015, cependant, le discours public s'est concentré sur la mise en œuvre de ce qui est souvent appelé un « traité de paix ». Les parties de cet accord dit d'Alger sont le gouvernement, les milices pro-gouvernementales (Plateforme) et une alliance de groupes rebelles dominée par les Touaregs (CMA). L'accord prévoyait, entre autres, le retour de l'armée malienne dans le nord et le désarmement ou l'intégration des parties armées de l'accord dans l'armée officielle. En outre, l'accord prévoyait également une décentralisation de l'administration, qui, en théorie, était censée renforcer l'autonomie des régions dans un cadre constitué par l'État, mais qui, dans la pratique, interférait avec les relations de pouvoir existantes et mettait en danger les privilèges des élites locales.

L'association d'un cessez-le-feu entre certains groupes armés à la définition trop vague d'un ordre futur recèle de nombreux pièges. Par exemple, les forces civiles dans toutes les régions du pays, et donc les femmes en particulier, ont été très largement exclues des processus de négociation sur le futur ordre du pouvoir, qui utilise désormais comme outils politiques la déstabilisation ciblée et la force des armes pour imposer des réformes tardives et incertaines. En conséquence, le nombre d'acteur.trices armé.es a finalement augmenté après l'accord, tandis que leur désarmement et leur intégration dans l'armée sont hésitants et réversibles. En outre, l'accord a conduit à une division binaire apparente entre les groupes armés, à savoir les parties du processus de paix d'une part et ses ennemi.es d'autre part. Ces derniers sont donc principalement assimilés à des acteur.trices terroristes, ce qui a pour conséquence que le mandat de la MINUSMA, qui consiste à mettre en œuvre l'accord de paix, tend à se déplacer vers la lutte contre le terrorisme. Ainsi, dans les mandats suivants du Conseil de sécurité de l'ONU, des formulations correspondantes ont également été trouvées en ce qui concerne la MINUSMA elle-même, appelant à « dissuader et contrer les menaces asymétriques et à prendre des mesures robustes et actives pour protéger les civil.es ». Depuis des années, il y a des discussions internationales sur la formulation du mandat de la MINUSMA d'une manière beaucoup plus offensive et aussi sur la restructuration et l'équipement des unités impliquées en conséquence. Cependant, une mission de l'ONU pour combattre le terrorisme aurait été une nouveauté et une expérience audacieuse. Bien que ces plans n'aient pas été mis en œuvre de cette manière, la MINUSMA s'est transformée en une plateforme au sein de laquelle coopèrent de nombreux autres acteurs militaires, dont les doctrines sont essentiellement orientées vers la contre-insurrection et/ou la guerre contre le terrorisme (voir le chapitre 5 de cet article).

Les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations unies, qui mandatent essentiellement la MINUSMA, font appel à plusieurs de ces acteur.trices, dont la mission française Barkhane, le G5 Sahel et les forces armées maliennes, et encouragent finalement toutes les parties à l'accord de paix » à s'engager dans la lutte contre le terrorisme. Cela leur donne finalement carte blanche pour agir contre les groupes terroristes présumés et donc aussi contre la population civile, et pour mener leurs conflits entre eux sous couvert de lutte contre le terrorisme. En outre, la division apparemment binaire entre les parties de l'accord de paix, d'une part, et les acteur.trices terroristes, d'autre part, n'existe pas de cette manière dans la pratique, et les attaques des groupes terroristes peuvent très bien servir les intérêts d'une ou plusieurs parties. Dans l'ensemble, la question se pose donc de savoir lequel des acteurs impliqués dans la constellation actuelle a réellement un intérêt dans la stabilisation ou la pacification durable.

Autres opérations militaires

Outre l'armée malienne et la MINUSMA, d'autres acteurs internationaux sont militairement actifs dans la région.

EUTM

Très rapidement après l'intervention militaire française Serval et toujours pendant la montée en puissance d'AFISMA, la mission de formation de l'UE EUTM (European Union Training Mission) Mali a été décidée par le Conseil européen le 17 janvier 2013. Des plans correspondants étaient en préparation depuis des années et ont été rapidement adaptés à la nouvelle situation. Les premières équipes avancées ont déjà été déployées en janvier. Les plans de l'UE prévoyaient 550 forces, dont 150 devaient assurer la sécurité et 200 autres devaient former initialement un bataillon des forces armées maliennes (environ 670 forces). Officiellement, la mission a débuté en mars, mais la formation proprement dite a commencé en avril 2013. Le quartier général de la mission était situé dans un hôtel de Bamako, l'entraînement se déroulant initialement dans une base de l'armée malienne à une soixantaine de kilomètres au nord de la capitale, près de Koulikoro.

Selon les informations fournies par le représentant étranger de l'UE, M. Borrell, après le nouveau coup d'État militaire d'août 2020, environ 90 % de l'armée malienne avait alors été formée et perfectionnée dans le cadre de la mission EUTM, armée dont la taille est généralement estimée à un peu moins de 20 000 personnes. Le contenu du cours allait du démentellement des mines et de la planification des missions à l'infanterie mécanisée et au combat en terrain urbain. Depuis sa création, la mission n'a cessé de s'étendre. Au début, les cours de formation se sont déroulés de plus en plus souvent en dehors du camp d'entraînement de Koulikoro, puis dans les bases de l'armée malienne dans d'autres régions du pays. En outre, la formation a été étendue à d'autres États membres du G5 Sahel et, depuis 2020, doit également se dérouler au plus « proche des opérations », c'est-à-dire à proximité spatiale et temporelle des opérations et des combats de l'armée malienne.

Serval et Barkhane

Aujourd'hui, la mission Serval est considérée comme un excellent exemple d'intervention militaire rapide, robuste et efficace. Le fait que la France ait pu s'appuyer sur diverses unités déjà présentes dans la région a largement contribué à ce « succès ». Le départ a été effectué par des hélicoptères de combat et des forces spéciales que la France avait déjà stationnés au Burkina Faso, appuyés par des avions de combat que l'ancienne puissance coloniale maintient en permanence au Tchad. Presque immédiatement après le début de l'intervention, l'infanterie française a également été déployée de la Côte d'Ivoire vers le Mali. De nombreux alliés de l'OTAN et de l'UE, ainsi que les Émirats arabes unis, ont fourni un soutien logistique, notamment pour le transport de troupes et le ravitaillement en vol. Évidemment, d'un point de vue militaire, la coopération entre les différentes unités – de l'armée de l'air aux forces terrestres – a fonctionné de manière exemplaire. Il en va de même pour la coopération des forces spéciales françaises avec les forces locales (notamment du Tchad), qui ont été très rapidement intégrées. Cela aussi a certainement été facilité par le fait que la France a stationné en permanence des forces dans la région pour mener des exercices conjoints ainsi que des opérations avec les forces locales. Le fait qu'« aucun prisonnier.ière n'ait été fait.e » a probablement aussi contribué à la progression rapide et au « succès » de Serval. De fait, sur le plan linguistique , le gouvernement français a émis le mot d'ordre de « détruire » l'« ennemi ». Les informations sur le nombre d'entre eux qui ont été.e tué.es et sur le nombre de civils qui se trouvaient parmi eux sont tout aussi vagues. L'armée malienne, en particulier, aurait commis de graves violations des droits de l'homme au cours de l'avancée française.

Ainsi, à la fin du mois d'avril 2013, Serval avait réussi à reconquérir les zones précédemment contrôlées par les forces terroristes présumées, à l'exception de certaines parties des monts Ifoghas dans l'extrême nord. Cela a conduit à un retour aux tactiques de guérilla et à une démonstration croissante de leur capacité à mener des attaques dans les villes du nord. Après la fin des opérations de combat massives et concentrées, la France a rebaptisé l'opération Serval opération Barkhane à la mi-2013 et l'a étendue aux États qui ont ensuite été également regroupés politiquement sous le terme de G5 Sahel : Mauritanie, Niger, Burkina Faso et Tchad, en plus du Mali. En définitive, la présence permanente déjà existante de la France a ainsi été élargie et placée sous un mandat opérationnel, à savoir la lutte transfrontalière contre le terrorisme. Officiellement, Barkhane compte entre 4 000 et 5 000 membres.

On sait peu de choses sur l'approche opérationnelle de Barkhane, car il s'agit essentiellement de petits exercices et opérations bilatéraux avec les armées des États du G5 – bien que les transitions soient fluides. Lorsque, par exemple, des villages sporadiques sont fouillés par des soldat.es français.es et tchadien.nes, appuyé.es par des hélicoptères de combat, cela est souvent décrit comme un exercice par les forces armées impliquées, même si elles sont intégrées dans des opérations plus vastes, qui visent, par exemple, à restreindre la liberté de mouvement des groupes terroristes dans une certaine zone.

Outre les forces spéciales, dans Barkhane, les drones jouent un rôle important, ils sont déployés à partir de plusieurs aérodromes de la région pour reconnaître des individu.es ainsi que des groupes et apparemment aussi pour les observer pendant de plus longues périodes. La France utilise également des drones armés depuis l'aéroport de Niamey depuis décembre 2019. Quelques jours après un premier vol d'essai, un drone Reaper associé à un avion de chasse Mirage a « neutralisé 30 djihadistes », selon le président français Emmanuel Macron. Peu de temps auparavant, 13 soldat.es français.es avaient trouvé la mort dans une collision entre deux hélicoptères de combat alors qu'ils « chassaient des djihadistes ». Il est dit que « plus de 40% de toutes les frappes aériennes sont maintenant effectuées à l'aide de drones ». La fréquence de ces attaques n'est toutefois pas connue publiquement. Début novembre, le gouvernement français a annoncé que « plus de 50 djihadistes ont été neutralisé.es » et 30 motos détruites lors d'une attaque au Mali après qu'un drone ait détecté un « très grand nombre » de personnes à moto dans la zone frontalière avec le Niger et le Burkina Faso. Là encore, l'attaque a été menée à la fois depuis le drone et l'avion Mirage. Dans les semaines qui suivirent, le nombre de soldat.es français.es tué.es au Mali s'élèvait à plus de 50, dont pour la première fois une femme membre de Barkhane. Quelques jours plus tard, le 2 janvier 2021, des avions de chasse Mirage ont de nouveau attaqué un groupe de personnes après qu'un drone ait suivi deux hommes à moto qui avaient rencontré d'autres hommes près de Bounti. Selon la population locale et les médias internationaux, c’était une fête de mariage.

UN7303496_dbd_ (1)
Lors d’une visite officielle en France, le secrétaire général des Nations unies de l’époque, Ban Ki-moon, s’est joint au président français de l’époque, François Hollande, lors d’un défilé militaire pour marquer les jours fériés en France – tout comme les casques bleus des Nations unies servant sous la MINUSMA. Photo : ONU, 2013

Force Conjointe G5 Sahel

Les États qui définissent conjointement la zone opérationnelle de l'opération Barkhane (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad) ont décidé en février 2014 d'établir une coopération politique sous le nom de G5 Sahel. Officiellement, l'initiative est venue des gouvernements concernés, mais le gouvernement français a été impliqué dès le début et tout au long du processus – par exemple, le président français était soit présent soit connectés virtuellement aux conférences centrales du G5. L'UE a également apporté un soutien important. Avec la France, l'Allemagne, la Banque mondiale et la Banque africaine de développement, elle a fondé l'« Alliance pour le Sahel », qui vise à renforcer la « coopération au développement » avec les pays du G5, notamment en favorisant les investissements.

Bien que le G5 Sahel, en tant qu'association d'anciennes colonies françaises, se préoccupe également du développement économique, son projet le plus important à ce jour est la Force Conjointe G5 Sahel (FCG5S), une force d'intervention conjointe composée des armées des pays participants, qui est active au-delà des frontières et qui devrait comprendre 5 000 forces à l'avenir. Sa création avait déjà été décidée lors d'un sommet du G5 Sahel en novembre 2015, toutefois, cela n'a pris forme que dans le courant de l'année 2017. Lors d'une conférence des donateur.trices en février 2018, la France et l'Allemagne ont mobilisé des promesses de dons internationaux de 414 millions d'euros pour financer la force, la France avait auparavant cherché à obtenir une reconnaissance internationale auprès des Nations unies.

Sur le plan conceptuel, le FCG5S se distingue des autres forces d'intervention régionales en ce sens qu'il n'est pas principalement destiné à un déploiement à court terme en cas de crise majeure, mais à la lutte permanente contre le terrorisme. « Pleinement opérationnelle, elle doit disposer d'une force de 5000 hommes (sept bataillons répartis sur trois secteurs, est, centre et ouest). Sa zone opérationnelle couvrira 50 km de part et d'autre des frontières communes. Dans un second temps, le déploiement d'une brigade conjointe sahélienne anti-terroriste dans le nord du Mali est envisagé ». Son quartier général opérationnel se trouve au Mali, avec des commandements régionaux dans l'est de la Mauritanie (ouest), à Niamey (sud) et à N'djamena (est). En outre, un centre de formation, le « Collège de défense G5 Sahel », a été créé dans l'ouest de la Mauritanie. Le centre opérationnel du FCG5S se situe dans les zones frontalières entre la Mauritanie et le Mali, le Burkina Faso et le Mali ou le Niger, et entre le Niger et le Mali. Étant donné que, outre le terrorisme, la lutte contre le trafic de drogue et la traite des êtres humains fait également partie de ses missions, et que la France, l'Allemagne et l'UE exercent une influence massive sur le G5, il est justifié de soupçonner que le FCG5S serve aussi, et surtout, à lutter contre la migration illégale et à restreindre la liberté de mouvement de la population locale. Dans tous les cas, le développement des infrastructures correspondantes entraîne une surveillance accrue et une militarisation des frontières dans la région.

Les opérations du FCG5S se déroulent principalement en coopération avec Barkhane et donc de facto sous commandement français, car la France dispose de capacités supérieures, notamment dans les domaines du commandement et du contrôle, de la reconnaissance et de la puissance aérienne. Dans le même temps, il est souvent difficile de savoir si les contingents concernés opèrent sous un commandement conjoint ou national.

Les forces américaines

Outre la MINUSMA, l'EUTM, Barkhane et FCG5S, les États-Unis ont également déployé des troupes dans la région, notamment au Niger. Officiellement, c'est une mission d'entraînement. Cependant, après que quatre soldat.es américain.es aient été tué.es aux côtés de cinq soldats nigériens lors d'une bataille de plusieurs heures près de la frontière malienne le 4 octobre 2017, il est clair que les forces américaines y mènent également des missions conjointes de capture ou de mort avec les forces nigériennes. L'affaire a fait grand bruit aux États-Unis, la présence américaine n'étant pas mandatée en tant que mission de combat, ce qui a notamment conduit à la publication d'un rapport final détaillé, mais certainement expurgé. Selon le rapport, les soldat.es américain.es – pour la plupart des forces spéciales – voyageaient dans des véhicules civils avec des soldat.es nigérien.nes et des forces de sécurité privées des États-Unis lorsqu'ils sont tombé.es dans une embuscade. L'objectif était apparemment d'arrêter ou de neutraliser des commandants IS de haut rang. Des hélicoptères et des avions d'attaque français, ainsi que des drones américains ont également été utilisés au cours de cette bataille qui a duré plusieurs heures.

Cependant, les quelques 800 soldat.es américain.es stationné.es au Niger ne sont pas seulement là pour la formation, mais apparemment aussi pour des opérations conjointes avec les forces locales. L'armée américaine a établi deux bases de drones au Niger ces dernières années, et il y en aurait une autre exploitée par la CIA. Bien que les drones au sol soient généralement entretenus par des forces civiles (américaines) et qu'ils puissent également être pilotés depuis les États-Unis ou depuis l'Africom de Stuttgart, en Allemagne, ils nécessitent tout de même une présence de forces militaires sur le terrain – notamment pour protéger les données et pour leur récupération en cas de crash.

Takuba et les missions bilatérales

Au sein de l'UE, la France a longtemps exercé des pressions pour obtenir un plus grand soutien des autres États dans la lutte contre le terrorisme. Toutefois, l'approche mise en œuvre par la France à cet égard de manière plutôt idiosyncrasique et non transparente n'est pas sans susciter des controverses au sein de l'UE. Depuis 2020, la solution temporaire est la Task Force Takuba, une unité composée des forces spéciales de plusieurs États européens et intégrée à Barkhane. Outre Barkhane, Takuba est également destinée à soutenir d'autres forces d'intervention dans la région par des interventions rapides et robustes. Elle comprend, entre autres, 150 forces spéciales suédoises stationnées sur le terrain avec trois hélicoptères de combat, qui peuvent être renforcées par 100 autres forces.

L'Allemagne et d'autres États de l'UE soutiennent Takuba sur le plan politique, mais ne participent pas directement sur le plan militaire. Néanmoins, depuis l'automne 2018 au plus tard, l'Allemagne stationne (aussi) en permanence des forces spéciales dans la région, au-delà des missions EUTM et MINUSMA. La raison officielle de l'opération secrète non mandatée « EL Border » du commandement des forces spéciales (KSK) est l'enlèvement d'un citoyen allemand en avril 2018. En janvier 2021, cette opération a connu un retentissement public limité en Allemagne pendant une courte période, car 1 700 munitions ont disparu des stocks sans explication concluante. Des forces spéciales de la marine allemande se trouvent également au Niger dans le cadre de l'opération Gazelle, également pour y former des forces spéciales. Cette mission, pour laquelle il n'y avait pas de mandat pendant longtemps, a été intégrée au mandat de l'EUTM en 2020. Il est raisonnable de supposer qu'en plus de la France, des États-Unis et des pays participant à Takuba et à la MINUSMA, des forces spéciales d'autres pays, notamment des États du Golfe, sont actives sur le terrain.

En outre, les forces du G5 Sahel mènent également des opérations bilatérales au-delà de la Force Conjointe. En septembre 2017, par exemple, Human Rights Watch a rapporté comment des actes de torture et des exécutions sommaires avaient déjà eu lieu lors d'opérations conjointes entre les forces maliennes et burkinabè – dont certaines soutenues par Barkhane – avant la création du FCG5S. Les frappes aériennes à Bounti déjà mentionnées ont été effectuées dans le cadre de l'opération Éclipse dans la même région, dans laquelle le FCG5S n'était pas officiellement impliqué, mais dans laquelle des troupes du Niger et du Burkina Faso étaient impliquées en plus de Barkhane et de l'armée malienne.

Les opérations bi- et multilatérales avec et sans leadership français sont une continuité dans la région depuis des années – elles sont, pour ainsi dire, la vie quotidienne – avec des troupes du Tchad en particulier jouant un rôle de premier plan, travaillant souvent très étroitement avec Barkhane – bien que le Tchad n'ait pas de frontière avec le Mali. Il s'agit d'États et de formations qui sont simultanément impliqués dans la MINUSMA et le FCG5S, ainsi que de forces spéciales européennes qui opèrent dans le plus grand secret et dans le cadre de mandats qui imposent peu de restrictions territoriales ou opérationnelles.

La MINUSMA comme plateforme

Sans la mission offensive française Serval, le déploiement de l'AFISMA, puis de la MINUSMA, aurait été difficile à réaliser, du moins dans la zone de l'État malien. Serval s'est, pour ainsi dire, battu, pour dégager l'espace dans lequel la MINUSMA opère aujourd'hui et, ce faisant, a déterminé les coordonnées fondamentales de son champ d'action. Cela inclut, entre autres, le fait que les forces touaregs (anciennement) sécessionnistes sont maintenant parties de l'accord de paix et alliées dans la lutte contre le terrorisme, et que cela représente en fin de compte la principale feuille de perception de l'« engagement » international dans la région du Sahel.

En attendant, il est toutefois difficile d'imaginer l'opération Barkhane fonctionner sans la présence de la MINUSMA. Ceci est déjà vrai au niveau du droit international, puisque les résolutions du Conseil de Sécurité de l'ONU sous le chapitre VII de la Charte de l'ONU mandatent la MINUSMA, mais surtout légitimisent l'implication de la France (Barkhane) et du FCG5S au-delà du chapitre VII. En effet, le soutien au FCG5S et à Barkhane est de plus en plus intégré aux mandats de la MINUSMA et de l'EUTM. La Mission européenne de formation, par exemple, est désormais appelée à former également les forces des autres États du G5 Sahel, à devenir active et à établir une présence au-delà du territoire du Mali à cette fin. La MINUSMA est également appelée à soutenir ce processus, porté notamment par Barkhane et la France.

Au-delà même du mandat et donc de la légitimité, la mission de l'ONU et les opérations de contre-terrorisme sont étroitement liées. Sans la présence et les infrastructures militaires de la MINUSMA à l'échelle nationale, ni Barkhane ni le FCG5S ne seraient en mesure de sécuriser et d'approvisionner leurs unités sur le terrain, qui sont orientées vers les opérations offensives. La MINUSMA participe à la mise en place des camps de terrain et à la fourniture des FCG5S. Le contingent allemand de la MINUSMA et Barkhane maintiennent une base de transport aérien commune à Niamey, à partir de laquelle les deux opérations sont approvisionnées. Les membres de la MINUSMA et de Barkhane sont ici approvisionné.es par la même cuisine de campagne (française). Les « chaînes de sauvetage », c'est-à-dire les soins médicaux d'urgence et l'évacuation des deux contingents, reposent également sur des installations communes. Au Mali, les camps de terrain et les aéroports sont aussi souvent partagés entre la MINUSMA et Barkhane. En plus du « soutien opérationnel et logistique » de Barkhane et du FCG5S envisagé dans les mandats plus récents de la MINUSMA, ceux-ci prévoient également la « coordination » et « l'échange d'informations ». Par conséquent, on peut supposer que les renseignements recueillis par le contingent allemand de la MINUSMA, par exemple grâce aux drones Heron déployés par la Bundeswehr, seront également partagés avec les forces françaises. Ainsi, si le contre-terrorisme ne fait pas partie du mandat de la MINUSMA au sens strict et que la mission n'est pas façonnée par lui, il constitue l'infrastructure et l'épine dorsale du renseignement de plusieurs missions qui lui sont principalement destinées.

Bilan et perspectives

Les rapports trimestriels du Secrétaire général des Nations Unies sur la situation au Mali donnent un bon aperçu du bilan de la MINUSMA. Depuis des années, la section sur l'évolution de la situation en matière de sécurité commence ici par la même formulation ou une formulation similaire à celle du dernier rapport du 28 décembre 2020 : « La situation en matière de sécurité a continué à se détériorer au cours de la période considérée ». Bien que ces rapports soulignent également à plusieurs reprises des progrès dans le processus politique ou dans la décentralisation de l'administration, le nouveau coup d'État des militaires contre le gouvernement en place le 18 août 2020 remet très largement en question même ces petits succès. La violence interethnique est en constante augmentation, tout comme l'expansion territoriale de la guerre contre le terrorisme, la portée des groupes terroristes et l'insécurité que cela crée pour la population.

Les États intervenants sont de plus en plus perplexes quant à la nature d'une solution politique et d'un avenir pacifique au Mali et quant à la manière dont ils peuvent y parvenir avec les approches actuelles. Des appréciations telles que celle du politologue Marc-Antoine Pérouse prennent de plus en plus le dessus : « Actuellement, la communauté internationale maintient artificiellement au pouvoir des régimes corrompus et souvent autoritaires. L'aide militaire et financière n'encourage pas les réformes, elle est une sorte d'assurance-vie pour ces régimes ». Dans le cadre d'une analyse similaire, le chercheur français spécialiste des conflits Bruno Charbonneau parle du contre-terrorisme comme d'une « forme de gouvernement », dans laquelle la violence et la répression avaient remplacé le besoin de légitimité politique et structuré toutes les relations sociales.

Dans les milieux proches de l'armée, les chances de stabilisation militaire – du moins selon les approches existantes – sont évaluées avec scepticisme depuis un certain temps. Dès le printemps 2017, le magazine de l'association de réservistes allemands « loyal » titrait un article détaillé sur la participation allemande à la MINUSMA « Mission impossible ? » et citait un soldat aux propos inhabituellement clairs : « [...] je ne peux pas expliquer à mes proches à la maison pourquoi je suis au Mali et ce que nous voulons réaliser ici ». Bien que le scepticisme quant aux succès potentiels de la MINUSMA prévale aujourd'hui, une remise en question est peu probable – en partie parce que cela reviendrait à admettre un échec et, dans ce cas, à aggraver la situation. Au contraire, dans le cas du Mali, des symptômes de « mission creep » peuvent déjà être identifiés, comme le note Dan Krause, chercheur associé et maître de conférences à l'Université des forces armées fédérales de Hambourg : « L'expansion graduelle, involontaire, mais à un moment donné difficilement réversible, continue et presque inévitable de sa propre implication. » Il ajoute : « Pourquoi faudrait-il réussir au Mali ce qui a échoué dans les grandes opérations de stabilisation américaines et occidentales passées au Vietnam, en Afghanistan ou en Irak ? Sinon, quelle est l'alternative ? »

Retour à l'index