Somalie

Publié septembre 29th, 2020 - écrit par: Simone Schlindwein

Retour au pays, volontaire et forcé

En 25 ans de guerre civile, près d’un tiers de la population somalienne soit plus de 4 millions de personnes a fui le pays. Des efforts sont aujourd’hui faits par le gouvernement de transition, avec l’aide de l’Union européenne (UE), pour permettre à ces populations de rentrer en Somalie. 

Une guerre civile d’une grande violence a déchiré le pays pendant 25 ans. Depuis le renversement du régime autoritaire de Siad Barre en 1991, aucun gouvernement central n’a réussi à imposer un contrôle sur l’ensemble du territoire. Plusieurs régions été occupées par les milices islamistes shebabs, tandis que les côtes du Golfe d’Aden, qui constituent un axe maritime stratégique pour les navires de commerce internationaux, ont longtemps fait l’objet de raids de piraterie. Depuis 2007, l’Union africaine (UA) a mis en place une mission de maintien de la paix en Somalie pour combattre les milices shebabs et protéger le jeune gouvernement. 

Dans le cadre de la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM), plus de 22.000 soldats, policiers et agents civils venus d’Ethiopie, du Burundi, de Djibouti, du Ghana, du Kenya, du Nigeria, de la Sierra Leone et de l’Ouganda sont actuellement déployés en Somalie. Malgré les succès initiaux remportés par la mission de maintien de la paix contre les milices, le contrôle effectif du territoire par le gouvernement nouvellement élu dépasse aujourd’hui à peine les limites de Mogadiscio. Des attentats terroristes continuent de frapper régulièrement la capitale, visant notamment les bâtiments gouvernementaux du centre-ville. 

En 2017, pour la première fois depuis la chute du régime autoritaire de Siad Barre en 1991, des élections ont eu lieu dans le pays. Selon la Constitution de transition, seulement 14.000 chefs de clan environ ont été autorisés à élire des représentants – la moitié de la population étant de toute manière en exil. En juin 2019, les principaux représentants du gouvernement somalien se sont retrouvés dans des hôtels sécurisés situés en Ouganda, territoire allié, pour discuter des élections prévues pour 2020. Halima Ismail Ibrahim, porte-parole de la Commission électorale nationale indépendante (National Independent Electoral Commission of Somalia NIEC), a exhorté le Parlement à amender la loi électorale afin d’étendre le droit de vote à tous les citoyens. Il s’agirait de la première fois depuis 50 ans que tou.tes les Somalien.nes auraient le droit de voter au suffrage universel direct. Il n’est cependant pas certain que les élections puissent réellement se tenir, et la situation sécuritaire reste tendue. 

La migration, conséquence de la guerre et partie intégrante de la culture somalienne 

Selon les estimations de la Banque mondiale, un tiers de la population somalienne a quitté le pays en 25 ans de guerre civile, soit plus de 4 millions de personnes. Cela fait de la Somalie l’un des principaux pays d’origine des réfugié.es sur le continent africain. 

La plupart d’entre elles et eux ont trouvé refuge dans les pays voisins. Au plus fort des mouvements de migration forcée, pendant le pic de sécheresse de 2011-2012, près d’un demi-million de réfugié.es somalien.nes vivaient au-delà de la frontière dans la région désertique au nord-est du Kenya. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugié.es (UNHCR), environ 730.000 réfugié.es vivent toujours en Ouganda, en Ethiopie, au Soudan, en Erythrée, à Djibouti et au Yémen aujourd’hui. En outre, plus d’un million de Somalien.nes sont déplacé.es et cherchent une protection à l’intérieur de leur propre pays, pour la plupart dans les régions sûres du Puntland et du Somaliland – qui ont fait sécession de la Somalie et se sont déclarés Etats autonomes pendant la guerre civile, mais ne sont pas reconnus par la communauté internationale. 

Parmi les Somalien.nes qui vivent à l’étranger, on ne compte pas seulement des réfugié.es de guerre, mais aussi des jeunes femmes et hommes venu.es des régions relativement pacifiques que sont le Somaliland et le Puntland. Selon une étude menée par le Rift Valley Institute, la proportion de jeunes issu.es de ces régions qui choisissent de partir une fois leur scolarité finie est presque aussi élevée que dans les zones de combat. Selon cette même étude, la plupart d’entre elles et eux aspirent à trouver un travail qui corresponde à leur niveau d’études et quittent leur pays d’origine, car il n’offre aucune perspective d’emploi. Pour Bram Frouws, spécialiste des migrations au think tank RMMS (où sont étudiés les mouvements migratoires de la Corne de l’Afrique), « dans la culture somalienne, la migration constitue un chemin vers le succès ». Beaucoup des Somalien.nes qui occupent aujourd’hui des postes importants au sein du gouvernement et dans l’économie sont revenu.es dans leur pays d’origine après un exil en Europe ou aux Etats-Unis. 

Il existe désormais un mot dans la langue somalienne pour décrire ce dangereux périple : une famille parle de « wuu tahribay » quand elle explique que son fils est parti en Europe en espérant y faire fortune. En arabe, le terme renvoie aux passeurs et aux trafiquants. En Somalie, et notamment au Puntland et au Somaliland, il désigne la migration vers l’Europe. La Suède fait partie des pays de destination les plus populaires.  

Les itinéraires varient. La route de l’est va du Golfe d’Aden aux Balkans en passant par la péninsule arabique, l’Irak, la Syrie et la Turquie. L’itinéraire maritime traverse la mer Rouge, le Sinaï puis la Méditerranée, à travers la mer Egée. La route de l’ouest passe par l’Ethiopie, le Soudan et la Libye. 

Les Somalien.nes constituent l’un des dix plus gros contingents de demandeur.euses d’asile dans l’UE. Selon les chiffres de 2018, ils représentent 3% de l’ensemble des demandeur.euses, avec un taux d’accord de 53%. En 2018, environ 10.000 réfugié.es venu.es de Somalie ont déposé une demande d’asile dans l’UE. Sur ces demandes, 5.500 ont abouti tandis que plus de 3.000 autres étaient rejetées. En Allemagne, selon l’Office fédéral des migrations et des réfugié.es (BAMF), les Somalien.nes constituent en nombre le 3ème groupe de demandeur.euses d’asile, derrière les Nigérian.es et les Erythréen.nes. Depuis août 2016, la Somalie a été inscrite par le BAMF sur la liste des pays d’origine pour lesquels les demandeur.euses d’asile ont des chances élevées de pouvoir rester en Allemagne. Auparavant, seul.es l’Erythrée, l’Irak, l’Iran et la Syrie figuraient sur cette liste. Selon les chiffres datant de 2016, plus de 38.000 Somalien.nes vivent dans la République fédérale d’Allemagne.

Des mesures pour stabiliser la Somalie

Au cours des dernières décennies, la communauté internationale a fait des efforts considérables pour stabiliser un pays ravagé par la guerre. L’UE soutient la Somalie à hauteur de 3,5 milliards d’euros pour la période 2015-2020 en vertu de l’accord adopté en 2013 du « Somali Compact », qui inclut l’aide au développement et le développement économique mais aussi la mise en place de structures de sécurité comme l’armée. 

En outre, l’UE a affecté 200 millions d’euros supplémentaires pour la période 2014-2020 à des mesures de consolidation de la paix et de développement économique, telles que le soutien aux petites entreprises, notamment celles dirigées par des femmes, et la formation professionnelle. En 2017, l’UE a accordé 119 millions d’euros supplémentaires pour assurer la sécurité alimentaire face à une sécheresse aiguë. Actuellement, la contribution de l’UE représente environ 60% de l’aide humanitaire d’urgence pour la Somalie. 

Dans le cadre du Programme indicatif national (NIP), la Somalie reçoit 286 millions d’euros du fonds fiduciaire d’urgence pour l’Afrique (Emergency Trust Fund for Africa EUTF) de l’UE. Des fonds supplémentaires sont alloués de manière proportionnelle à la Somalie dans le cadre du processus régional de Khartoum ainsi qu’à travers le soutien à l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) et à l’Union africaine. 

Depuis 2007, l’UA a maintenu en Somalie la susmentionnée mission AMISOM de stabilisation, qui est largement financée par l’UE. Cette dernière a déjà dépensé plus de 1,7 milliards d’euros pour rémunérer les soldat.es et policier.es de l’UA envoyés par l’Ouganda, le Kenya et le Burundi. Mais, alors qu’elle lançait de nouvelles missions militaires au Mali, au Niger et en République centrafricaine, l’UE a réduit sa part de 20% dans l’AMISOM au début de l’année 2016. Le Kenya et l’Ouganda se sont plaints des arriérés de paiement de leurs soldat.es en Somalie et ont menacé de se retirer de la mission en 2016. Au final, l’UE a promis 178 millions de dollars supplémentaires. 

En 2010, déjà, l’UE avait mis en place une mission de formation (European Union Training Mission EUTM) pour l’armée somalienne– alors pratiquement inexistante. Plus de 5.700 soldats et officiers somaliens ont été formés par du personnel militaire européen. Ces formations n’ont pas eu lieu sur le territoire somalien ; du fait de la situation sécuritaire, les soldat.es et officier.es ont été envoyé.es en Ouganda pour y être formé.es pendant plusieurs mois. Ce n’est qu’en 2015, lorsque la situation sécuritaire s’est améliorée, que la mission EUTM a été transférée à Mogadiscio. 

Dans le cadre de la mission civile de l’UE « EUCAP Nestor » (mission de renforcement des capacités maritimes régionales dans la Corne de l'Afrique et l’ouest de l’océan Indien), des instructeurs européens forment des garde-côtes somaliens à la lutte contre la piraterie depuis 2012. 

Dans le cadre de l’opération maritime ATALANTE, les navires de guerre européens protègent les bateaux du Programme alimentaire mondiale (PAM), de l’AMISOM et d’autres acteurs contre les attaques des pirates somaliens. En conséquence, le nombre d’enlèvements au large des côtes somaliennes a régulièrement diminué depuis 2012. En 2018, il a été décidé par le Conseil de l’UE de prolonger la mission jusqu’en 2020. 

Opération Retour 

Les réfugié.es jouent un rôle important dans la préparation des élections. Leur retour contribuerait au processus de démocratisation et de légitimation du gouvernement et, par-là, à la stabilisation du pays. Lors des dernières élections déjà, au début de l’année 2017, les Somalien.nes rentré.es au pays ont été des acteurs clés dans le jeu électoral. « Gardez à l’esprit que votre retour est un signe de la renaissance de la paix en Somalie et que vous pouvez faire une différence pour votre pays en décidant d’y rentrer », avait alors déclaré lors d’une visite le porte-parole du gouvernement aux plus de 270.000 refugié.es somalien.nes qui vivaient dans le camp de Dabaad, au Kenya. Les camps de réfugié.es situés dans les pays voisins constituaient alors des terrains électoraux stratégiques en amont des élections. 

Dès 2013, les gouvernements du Kenya et de la Somalie ont convenu de fermer les camps situés sur le territoire kényan, dans le cadre d’un accord tripartite avec le HCR. Cet accord fixait la date limite des retours volontaires à la fin du mois de novembre 2016. Voulant respecter cette échéance, la Somalie et le Kenya ont accru la pression sur les réfugié.es. De son côté, le HCR insiste sur le principe international du retour volontaire et ne s’attend pas à ce que ce processus de retour prenne fin avant 2032. 

En juin 2016, Hassan Sheik Mohamoud a été le premier président somalien à visiter le camp de réfugié.es de Dabaad, au Kenya. Il a promis à ses compatriotes : « Nous ne voulons pas vous forcer à rentrer, sans que vous ne puissiez bénéficier d’un toit, d’un accès à l’éducation et aux soins ». Il n’a pas précisé d’où proviendraient les financements. De fait, en 2016, le HCR a reçu moins du tiers des 150 millions de dollars nécessaires pour financer l’aide aux réfugié.es somalien.nes. Comme expliqué par le porte-parole du gouvernement Daud Awais, l’accueil et l’hébergement d’un nombre aussi important de réfugié.es en un laps de temps aussi court représenterait une tâche herculéenne pour un pays presque complètement détruit par plus de 20 ans de guerre. 

Malgré cela, les déportations vers la Somalie ne sont plus taboues pour le gouvernement fédéral et les Länder allemands. Selon le Conseil régional de Cassel, en juin 2019, 200 Somalien.nes qui avaient vu leur demande d’asile rejetée par au moins cinq Länder différents ont été présentés à des diplomates somalien.nes du Bureau des étrangers de Cassel. L’objectif était d’établir leur identité et de leur délivrer des documents de voyage. 

Selon le Conseil des réfugié.es de Hesse, il s’agit de la seconde « présentation en ambassade » pour des Somalien.nes en Allemagne. Une autre a apparemment eu lieu fin 2018 à Eisenhüttenstadt, dans le Brandebourg. Selon une porte-parole du ministre fédéral de l’Intérieur Horst Seehofer (CSU), sept déportations vers la Somalie ont eu lieu en 2018 et quatre en 2019. La porte-parole, Lisa Häger, a ainsi résumé la situation : « il n’y a pas d’arrêt des déportations vers la Somalie ». 

Beaucoup des demandes d’asile déposées par des Somalien.nes sont donc rejetées, malgré les persécutions subies dans leur pays d’origine, et de plus en plus d’entre elles et eux sont poussé.es à quitter volontairement l’Allemagne. En outre, depuis l’adoption de la loi dite du « retour ordonné » (Geordnete-Rückkehr-Gesetz) à l’été 2019, les Somalien.nes dont la demande d’asile a été rejetée peuvent être forcés à quitter « volontairement » le pays à travers la réduction de leurs prestations sociales. Dans le même temps, une situation absurde demeure en Allemagne, liée au fait que les autorités continuent à ne pas reconnaître normalement les documents civils somaliens. 

Pour les réfugié.es, un retour en Somalie dépendant de l’aide européenne

L’UE est aujourd’hui considérée comme le plus important donateur pour la stabilisation de la Somalie. Pendant longtemps, l’expression à la mode de la stratégie européenne sur le sujet évoquait la nécessité de « s’attaquer aux racines de la migration forcée » ; l’accent est désormais mis sur le soutien aux réfugié.es rentrant du Kenya. En Somalie, le HCR a défini quatre « zones sûres », parmi lesquelles la capitale, Mogadiscio, et la ville côtière de Kismayo. Le HCR verse 150 dollars et fournit six mois de rations alimentaires à chaque réfugié.e qui choisit de rentrer en Somalie. Compte tenu de la fermeture prévue du camp et du versement d’argent à des réfugié.es qui n’ont pratiquement aucune ressource, cette procédure ne correspond pas à la définition d’un retour « volontaire » et viole donc le droit international, selon Victor Nyamori, qui travaille pour Amnesty International au Kenya. Il y a davantage de « facteurs d’incitation », surtout la crainte d’une déportation violente, que de « facteurs d’attraction » comme la perspective d’une vie meilleure en rentrant au pays. 

Des financements ont été promis à la Somalie au titre du Fond fiduciaire d’urgence de l’UE (EUTF) pour l’Afrique. L’UE transfère 50 millions d’euros au HCR et à l’OIM (Organisation internationale pour les migrations) pour assurer l’accueil et la réintégration des réfugié.es rentrant en Somalie. La plupart d’entre elles et eux trouvent leurs maisons détruites ou occupées, et sont transféré.es vers les camps de déplacé.es qui sont actuellement mis en place par des ONG internationales. Afin de s’attaquer aux causes profondes de la migration forcée, l’UE investit 10 millions d’euros d’aide supplémentaires dans la région du nord de la Somalie, touchée par la sécheresse. 

Le retour des réfugié.es somalien.nes revêt donc une grande importance pour l’Europe. En effet, si un grand nombre d’entre elles et eux quittent Kenya pour rentrer dans leur pays d’origine, cela viendra implicitement fournir des arguments aux autorités européennes pour qualifier la Somalie de « pays d’origine sûr ». 

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